Madagascar, illustration inédite de la mondialisation génétique
Steppe arborée, entre Antananarivo et Mahajanga, Madagascar©René BALLY/CNRS Photothèque

Madagascar, illustration inédite de la mondialisation génétique

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

La mondialisation n’est pas un phénomène récent, et le peuple malgache en est la preuve vivante. Un article publié dans PNAS lève le voile sur les origines génétiques de la population de Madagascar au travers d’une étude internationale menée sur 10 ans, qui a mobilisé pas moins de 3000 participants et des chercheurs d’horizons variés (CNRS 1, INSERM, ICMAA, Institut de Civilisations d’Antananarivo 2) afin de mieux comprendre les origines des habitants de l’île. Parmi les résultats les plus marquants figurent la création d’une cartographie et d’une banque de données inédites sur les gènes du peuple malgache, révélant notamment que ce dernier a été au carrefour d’influences génétiques majoritairement asiatiques et africaines. Un grand pas vers une meilleure compréhension de la physiopathologie de la population malgache et des adaptations physiologiques lors de la confrontation à un nouvel environnement.

Les preuves de l’existence d’anciens contacts entres continents stimulent notre imagination et nous rappellent que la mondialisation n'est pas un phénomène récent. Ces migrations sont entourées de mystères concernant leurs circonstances, leurs motivations et leurs dates, mais il ne fait pas de doute que ces contacts ont transformé les populations impliquées qui ont ainsi pu échanger des gènes, des biens, des idées et des technologies.

L'un des exemples les plus remarquables d'un tel contact ancien entre continents est la population qui habite actuellement Madagascar. En effet, les études historiques, linguistiques, ethnographiques, archéologiques et génétiques montrent la présence d’influences à la fois africaines et asiatiques. Cependant, il n'existe pas de consensus sur le lieu, la période et les circonstances où ces deux mondes se sont rencontrés et ont fusionné. Le manque d'histoire écrite et les preuves archéologiques limitées rendent difficile de différencier les mythes fondateurs et l'histoire orale, les hypothèses scientifiques et la spéculation pure. Comme dans beaucoup de régions du globe, les ancêtres revêtent un aspect culturel fondamental et structurant de la société malgache. Ainsi, la question des racines de la population malgache est un sujet particulièrement passionné dans le pays. Par exemple, la question de savoir si les ancêtres malgaches sont principalement d'origine africaine ou asiatique est encore vigoureusement débattue, ainsi que les contributions potentielles des populations arabes, indiennes, ou persanes.

Pour lever le mystère de l’origine de la population malgache le projet MAGE (Madagascar, Anthropologie, Génétique et Ethno-linguistique), consortium international et pluridisciplinaire porté par les Dr. Letellier (INSERM), Dr. Radimilahy (ICMAA), Dr. Pierron (CNRS) et Dr. Rakotarisoa (ICMAA), a été lancé il y a 10 ans. Pendant ces 10 années, des équipes de généticiens, de linguistes et d'anthropologues ont visité plus de 250 villages pour échantillonner la diversité culturelle, linguistique et génétique de Madagascar. Environ 3000 personnes vivant dans l'île ont accepté de participer et ont rendu cette étude possible. En donnant leur salive pour les études génétiques et en partageant leur mode de vie, leurs connaissances (plus de 500 questions) et leur langue (plus de 300 mots référencés), les participants ont rendu possible la création d’une banque de données exceptionnelle ayant très peu d'équivalent dans le monde.

L’article publié dans PNAS présente les premiers résultats de cette étude en se focalisant principalement sur les résultats génétiques. L’étude de ces données a permis de mettre en évidence que chaque malgache partage deux origines principales, africaine (bantou) et asiatique (austronésienne), avec une faible composante génétique provenant de l'Europe et du Moyen-Orient. Les études démographiques montrent que le mélange de gènes entre ces principales origines s’est déroulé récemment (entre 500 et 900 ans). La répartition différente des composantes africaines et asiatiques à travers l'île révèle aussi que le mélange s'est déroulé de manière hétérogène, ce qui démontre un peuplement indépendant de Madagascar par des personnes venant d'Afrique et d'Asie plutôt que d’une colonisation par une population homogène déjà mélangée. Bien que ce peuplement de Madagascar ait été rapide et récent, nous avons trouvé une structuration génomique postérieure au mélange Afrique/Asie qui peut être expliquée par une structuration culturelle (géographie politique, histoire, …) montrant que quelques siècles sont suffisants pour produire une structure génétique détectable dans les populations humaines. Cette base de données génétiques devrait à moyen terme nous permettre de mieux comprendre les phénomènes d’adaptations physiologiques impliqués lorsque l’homme est confronté à de nouveaux environnements, mais aussi de mieux appréhender la physiopathologie de la population malgache.

Notes

  1. Laboratoire Anthropologie Moléculaire et Imagerie de Synthèse – AMIS (CNRS, Université de Toulouse Paul Sabatier / Université Paris Descartes) / Equipe de Médecine Évolutive
  2. Institut de Civilisations/Musée d’Art et d’Archéologie, Université d’Antananarivo, Madagascar

Référence
Genomic landscape of human diversity across Madagascar - Denis Pierron et al. PNAS ; Juillet 2017, doi:10.1073/pnas.1704906114

Contact chercheur

Denis Pierron
Anthropologie Moléculaire et Imagerie de Synthèse (AMIS - CNRS/Université de Toulouse Paul Sabatier/Université Paris Descartes)
denis.pierron@univ-tlse3.fr