Une bactérie détermine le sexe chez le cloporte

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Parce qu’il conditionne le développement mâle ou femelle des individus, le déterminisme sexuel s’avère fondamental pour bon nombre d’espèces. Une équipe du Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI, CNRS/ Université de Poitiers) de Poitiers, s’est intéressée de plus près à ce mécanisme chez le cloporte commun (Armadillidium vulgare), un crustacé terrestre très courant sous nos latitudes. En comparant le génome de représentants de l’espèce à celui de la bactérie Wolbachia, connue pour vivre en symbiose avec cet organisme, les chercheurs ont constaté que le transfert de fragments génétiques bactériens dans le génome du cloporte avait abouti à l'évolution d'un nouveau chromosome sexuel déterminant le sexe femelle. Cette étude, publiée récemment dans la revue PNAS, démontre ainsi pour la première fois que le transfert horizontal de gènes peut être à l’origine du déterminisme sexuel chez certaines espèces.

Dans le règne animal, le déterminisme du sexe a une origine évolutive très ancienne. Cette voie biologique qui influence la morphologie, la reproduction et le comportement des espèces se traduit ainsi de diverses manières. Chez les mammifères et la plupart des insectes, il est par exemple contrôlé par un ou plusieurs gènes portés par les chromosomes sexuels. Chez les crocodiles et bon nombre de tortues, c’est en revanche la température d’incubation des œufs qui conditionne le sexe des futurs individus. Dans une étude publiée récemment, des chercheurs du Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI) de Poitiers ont pu mettre en évidence une nouvelle forme de déterminisme sexuel chez le cloporte commun (Armadillidium vulgare). 

Chez ce crustacé terrestre, la bactérie Wolbachia, lorsqu’elle est présente dans les cellules de l’organisme, a la capacité de transformer les mâles en femellesIl existe toutefois des lignées de cloportes femelles n’hébergeant pas de bactérie qui produisent pourtant exclusivement des descendants femelles. « Nous voulions tester l’hypothèse émise 30 ans plus tôt par des biologistes de notre laboratoire selon laquelle le caractère femelle était dans ce cas précis assuré par des fragments du génome de Wolbachia intégrés à celui du cloporte au cours de l’évolution », explique Richard Cordaux chercheur à l’EBI et coauteur de l’article. Pour cela, les scientifiques vont tout d’abord séquencer le génome complet d’une femelle cloporte ne produisant que des descendants femelles. En parallèle, ils vont observer au microscope électronique les cytoplasmes de ses ovocytes pour confirmer l’absence de bactéries Wolbachia chez ce crustacé femelle. Le séquençage complet de son génome va attester de la présence d’éléments génétiques d’origine bactérienne.

Une fois l’intégration d’une partie du génome de Wolbachia à celui du cloporte confirmée, restait encore à vérifier si ces séquences mélangeant ADN de crustacé et ADN bactérien déterminaient effectivement le sexe femelle chez Armadillidium vulgare. Pour s’en assurer, les chercheurs vont alors tenter d’amplifier par PCR ces séquences d'origine bactérienne à partir de génomes de cloportes femelles, d’une part, et de génomes de cloportes mâles, d’autre part. Résultat : les séquences en question vont être uniquement détectées chez les individus femelles. « Cela confirme que la forme de transfert génétique horizontal que nous avons mis en évidence constitue un mécanisme évolutif en mesure d’expliquer l'origine de nouveaux chromosomes sexuels chez le cloporte commun, précise Richard Cordaux. Nos résultats révèlent également que des micro-organismes bactériens peuvent avoir un impact extrêmement important sur l'évolution et la biologie de certaines espèces. » En élargissant leurs investigations à d’autres espèces de crustacés, les scientifiques cherchent maintenant à savoir si ce mécanisme a une portée bien plus large à l’échelle du règne animal.

Référence
Birth of a W sex chromosome by horizontal transfer of Wolbachia bacterial symbiont genomeparSébastien Leclercq, Julien Thézé, Mohamed Amine Chebbi, Isabelle Giraud, Bouziane Moumen, Lise Ernenwein, Pierre Grève, Clément Gilbert et Richard Cordaux, publié en accès libre dans PNAS le 6 décembre 2016.
DOI : 10.1073/pnas.1608979113

Contact chercheur

Richard Cordaux
Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI - CNRS/ Université de Poitiers)
richard.cordaux@univ-poitiers.fr