Cistude d’Europe (Emys orbicularis), l’un des espèces de reptiles considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs et présentant un taux de vieillissement négligeable. Crédit : Matthieu Berroneau

Les vertébrés à « sang froid » nous donnent une leçon sur le ralentissement du vieillissement

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une étude d’une ampleur inédite publiée dans la revue Science par une équipe internationale de 114 scientifiques vient de lever le voile sur le vieillissement des ectothermes. Utilisant les reptiles et amphibiens comme modèles d’étude, les chercheurs ont montré que ces organismes présentent une grande variabilité de leur vitesse de vieillissement et que de nombreuses espèces (salamandres, tortues) présentent un vieillissement très ralenti. Pour la première fois, ils ont exploré les mécanismes responsables de l’importante variabilité de la longévité et des taux de vieillissement chez ces animaux.

Les animaux vieillissent-ils tous à la même vitesse ? Certains d’entre eux arrivent-ils à échapper au vieillissement ? Quels sont les traits biologiques expliquant les variations d’intensité du vieillissement parmi les espèces ? Autant de questions qui suscitent l’intérêt des hommes depuis l’Antiquité, et pour lesquelles des réponses tendent à prendre forme ces dernières années.

À 190 ans, Jonathan, la tortue géante des Seychelles, s’est fait connaître comme « l'animal terrestre vivant le plus âgé au monde ». Par ailleurs, des mesures réalisées chez des salamandres laissaient suspecter une importante longévité, combinée à d’étonnantes propriétés anti-vieillissement (ex. : régénération tissulaire). Néanmoins, nos connaissances sur le vieillissement des tétrapodes ectothermes (amphibiens et reptiles) se sont longtemps limitées à ces observations, aussi intrigantes qu’anecdotiques.

Une étude d’une ampleur inédite, reposant sur la compilation et l’analyse de données démographiques à long-terme recueillies dans 107 populations naturelles de 77 espèces de reptiles et d'amphibiens à travers le monde, vient de lever le voile sur le vieillissement des ectothermes. Cette analyse comparative publiée dans la revue Science par une équipe internationale de 114 scientifiques constitue l'étude la plus détaillée à ce jour sur le vieillissement et la longévité des tétrapodes ectothermes en populations naturelles.

Les chercheurs ont mis en évidence que les amphibiens et les reptiles présentent une plus grande variabilité des taux de vieillissement (mesurés à l’aide de modèles de mortalité âge-dépendants) que celle observée chez les oiseaux et les mammifères. En outre, cette étude révèle que les tortues, les crocodiliens et les salamandres ont des taux de vieillissement particulièrement faibles et des durées de vie étonnamment longues pour leur taille corporelle.

Fait troublant, l'équipe a observé un vieillissement négligeable chez au moins une espèce de chacun des groupes majeurs de tétrapodes ectothermes considérés dans l’étude. Certains clades tels que les salamandres et les tortues comptaient notamment une quantité importante d’espèces à vieillissement négligeable. Cela semble étrange de dire qu'ils ne vieillissent pas du tout, mais fondamentalement, leur probabilité de mourir ne change pas avec l'âge une fois que ces organismes ont effectué leur première reproduction.

Cette découverte remet en question l’idée que l’augmentation de la mortalité avec l’âge, observée chez la majorité des endothermes et chez l’humain, serait un phénomène inévitable chez les vertébrés en général. Ces résultats indiquent que les tétrapodes ectothermes présentent des processus de vieillissement originaux, assez différents de ceux des endothermes, dont ils se distinguent en termes de sensibilité environnementale, de métabolisme, et de diversité des traits d’histoire de vie.

Les chercheurs se sont également attachés à expliquer les causes des variations de longévité et d’intensité du vieillissement chez les tétrapodes ectothermes. Ils ont souhaité tester certaines théories du vieillissement pour voir si celles-ci étaient valables chez les reptiles et les amphibiens. Si nous parvenons à comprendre comment certains animaux réussissent à ralentir leur vieillissement, nous appréhenderons mieux celui de l'humain.

Le consortium a montré que les espèces présentant des phénotypes protecteurs physiques (carapace, armures d’écailles) et chimiques (venins, poisons) montrent un vieillissement plus lent et une plus grande longévité. Par ailleurs, les espèces à reproduction précoce et/ou à forte fécondité subissent un vieillissement accéléré. Enfin, l’étude suggère que le type de métabolisme (ectothermie vs endothermie) ne constitue pas un déterminant critique des variations d’intensité du vieillissement chez les vertébrés, contrairement à ce qui a été longtemps avancé.

Cette étude constitue la première analyse à large échelle sur le vieillissement des ectothermes. Elle démontre que la vitesse de ce phénomène est très variable entre espèces et que certains organismes présentent un vieillissement négligeable. A termes, ces découvertes pourraient éclairer de futures recherches biomédicales sur le vieillissement de l'humain et la santé.

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Cistude d’Europe (Emys orbicularis), l’un des espèces de reptiles considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs et présentant un taux de vieillissement négligeable. Crédit : Matthieu Berroneau
Salamandre tachetee
Salamandre tachetée (Salamandra salamandra), l’un des espèces d’amphibiens considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs et présentant un taux de vieillissement négligeable. Crédits : Matthieu Berroneau
vipere aspic
Vipère aspic (Vipera aspis), l’un des espèces de reptiles considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs. Crédits : Matthieu Berroneau
varan
Varan de Komodo (Varanus komodoensis), l’un des espèces de reptiles considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs. Crédits : Matthieu Berroneau
pelobate
Pélobate cultripède (Pelobates cultripes), l’un des espèces d’amphibiens considérées dans l’étude de Reinke et collaborateurs. Crédits : Matthieu Berroneau

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE - CNRS / Université de Lyon / VetAgro Sup)
  • Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC - CNRS / La Rochelle Université)
  • Centre de recherche en écologie expérimentale et prédictive (CEREEP - CNRS / ENS)
  • Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris (IEES - CNRS / IRD / Sorbonne Université / Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne / INRAE)
  • Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / ENTPE / Université Claude Bernard)
  • Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS / IRD / Université de Montpellier / EPHE)
  • Station d'Ecologie Théorique et Expérimentale (SETE - CNRS)
  • Eco-anthropologie (EA - CNRS / MNHN)

Objectifs de Développement durable

pictODD

  • Objectif 14 : Vie aquatique
  • Objectif 15 : Vie terrestre

Ces recherches contribuent à une meilleure connaissance de la biologie des amphibiens et des reptiles. Ces organismes comptent parmi les vertébrés les plus menacés au monde, avec près de 40 % d’espèces en danger selon l’IUCN.

Référence

Reinke BA, Cayuela H, Janzen FJ, Lemaître JF, Gaillard JM, Lawing AM, Iverson JB, Christiansen DG, Martínez-Solano I, Sánchez-Montes G, Gutiérrez-Rodríguez J, Rose FL, Nelson N, Keall S, Crivelli AJ, Nazirides T, Grimm-Seyfarth A, Henle K, Mori E, Guiller G, Homan R, Olivier A, Muths E, Hossack BR, Bonnet X, Pilliod DS, Lettink M, Whitaker T, Schmidt BR, Gardner MG, Cheylan M, Poitevin F, Golubović A, Tomović L, Arsovski D, Griffiths RA, Arntzen JW, Baron JP, Le Galliard JF, Tully T, Luiselli L, Capula M, Rugiero L, McCaffery R, Eby LA, Briggs-Gonzalez V, Mazzotti F, Pearson D, Lambert BA, Green DM, Jreidini N, Angelini C, Pyke G, Thirion JM, Joly P, Léna JP, Tucker AD, Limpus C, Priol P, Besnard A, Bernard P, Stanford K, King R, Garwood J, Bosch J, Souza FL, Bertoluci J, Famelli S, Grossenbacher K, Lenzi O, Matthews K, Boitaud S, Olson DH, Jessop TS, Gillespie GR, Clobert J, Richard M, Valenzuela-Sánchez A, Fellers GM, Kleeman PM, Halstead BJ, Grant EHC, Byrne PG, Frétey T, Le Garff B, Levionnois P, Maerz JC, Pichenot J, Olgun K, Üzüm N, Avcı A, Miaud C, Elmberg J, Brown GP, Shine R, Bendik NF, O'Donnell L, Davis CL, Lannoo MJ, Stiles RM, Cox RM, Reedy AM, Warner DA, Bonnaire E, Grayson K, Ramos-Targarona R, Baskale E, Muñoz D, Measey J, de Villiers FA, Selman W, Ronget V, Bronikowski AM, Miller DAW. Diverse aging rates in ectothermic tetrapods provide insights for the evolution of aging and longevity. Science. 2022 Jun 24;376(6600):1459-1466. doi: 10.1126/science.abm0151. Epub 2022 Jun 23. PMID: 35737773

Contact

Hugo Cayuela
Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE - CNRS/Université de Lyon/VetAgroSup)
Pôle Communication LBBE