L'impact génétique de la dispersion austronésienne a touché les côtes africaines

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Le géographe Jared Diamond a qualifié de « single most astonishing fact of human geography » le fait que les îles proches de la côte est-africaine (Madagascar et les Comores) présentaient des affinités culturelles et génétiques très fortes avec les populations d’Indonésie, situées à plus de 7000 km à l’est de l’Océan Indien. De précédents travaux de l’équipe de François-Xavier Ricaut avaient identifié la population Banjar du sud-est de Bornéo à la source de cette dispersion. Cependant son impact génétique sur les populations d’Afrique de l’Est et de la péninsule arabique restait inconnu. Aujourd’hui, une équipe internationale de recherche, menée par le Laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB - CNRS/Université de Toulouse III Paul Sabatier/IRD) et l’Institut Eijkman de Biologie Moléculaire de Jakarta (Indonésie), apporte une réponse à cette question. Cette nouvelle étude, publiée le 4 février 2019 dans la revue Genome Biology and Evolution, s’appuie sur l’analyse du génome de plus de 14 000 individus du pourtour de l’Océan Indien, et révèle une influence génétique austronésienne (Asie du Sud-Est) limitée mais réelle, dans les populations d’Afrique de l’Est et du sud de la péninsule arabique.

Village de la région montagneuse de Jabal Haraz au Yémen, entouré de plantations de café© Viktor Cerny

Au cours des quatre derniers millénaires, l’océan indien est devenu la première zone proto-globalisée au monde avec des échanges de gènes, d’idées et d’objets entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. S’appuyant sur les réseaux développés par les empires Hindou-Malais, il y a plus de 1500 ans, des membres de la population Banjar de langue austronésienne, originaires du sud-est de Bornéo ont migré et peuplé les îles est africaines de Madagascar et des Comores. L’apport génétique s’est doublé d’un apport linguistique et culturel significatif ainsi que d’un mélange avec les populations africaines. La question encore largement débattue restait celle de l’influence de la dispersion austronésienne sur le reste du pourtour de l’Océan Indien.

Pour répondre à cette question, les scientifiques ont étudié le génome de plus de 14 000 individus de 190 populations du pourtour de l’Océan Indien, incluant la population source Banjars de Bornéo. Ils ont sélectionné les individus porteurs d’une série de mutations sur l’ADN mitochondrial, spécifique de l’expansion austronésienne (motif polynésien). Un séquençage complet de leur ADN mitochondrial a ensuite été réalisé, complété par des données de génotypage du génome nucléaire. Ces données générées ont ensuite été incluses dans une large base de données recoupant des travaux publiés sur diverses populations du pourtour de l’Océan Indien.

Village traditionnel de Bornéo, province de Kalimantan Est, Indonésie © François-Xavier Ricaut

Les résultats ont tout d’abord révélé la présence du marqueur génétique austronésien dans des populations du Yémen et de Somalie, pour la première fois en dehors des îles d’Afrique de l’Est. Par la suite, l’analyse du génome nucléaire de ces individus a amené des résultats très surprenants. En effet, la composante génétique d’origine asiatique du génome de ces individus (entre 1 et 10%), présentait deux distributions différentes : pour certains individus les fragments du génome d’origine asiatique (Indonésien) sont associés à des fragments africains (Sud-Est Bantu) similaires à ceux observés dans les populations de Madagascar et introduits avant le XVIIIe siècle. Pour d’autres individus, ces fragments asiatiques sont similaires à ceux présents uniquement dans les populations indonésiennes et résulteraient d’un mélange remontant à la fin du XIXe siècle. En croisant les données historiques et génétiques, les réseaux d’échanges commerciaux établis dans l’Océan Indien mais, plus encore les diasporas et leurs déplacements, semblent avoir favorisé les échanges génétiques limités mais continus entre ces régions éloignées.

Cette étude montre donc que le scénario de dispersion austronésienne dans l’Océan Indien doit être abordé dans le détail du fait de sa complexité. En effet, cet apport de gènes d’origine asiatique au Yémen et en Somalie implique des populations sources différentes, localisées à Madagascar et dans le Sud-est asiatique, qui a pris place à des périodes différentes - s’étalant sur le dernier millénaire.

 

Référence

"Evidence of Austronesian genetic lineages in East Africa and South Arabia : complex dispersal from Madagascar and Southeast Asia" Brucato N, Fernandes V, Kusuma P, Cerný V, Mulligan CJ, Soares P, Rito T, Besse C, Boland A, Deleuze JF, Cox MP, Sudoyo H, Stoneking M, Pereira L, Ricaut FX, Genome Biology and Evolution,  2019 Feb 4.

 

Contact

François-Xavier Ricaut
Laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB -CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD
Frédéric Magné
Contact communication - Laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB – CNRS/Univ. Toulouse III Paul Sabatier/IRD)