Qui est cette girafe ? Quand l'intelligence artificielle automatise la reconnaissance individuelle des animaux

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

De nombreux suivis à long terme en écologie reposent sur notre capacité à reconnaître les animaux individuellement, souvent d'une année sur l'autre. Afin d’étudier la démographie des populations de girafes, les écologues procèdent à des "captures" photographiques au sein de la zone Atelier de Hwange du CNRS au Zimbabwe. Chaque girafe a un pelage composé d'une myriade de taches distinctes qui permet à un œil entraîné de la reconnaître... c'est ce que l'ordinateur sait désormais faire ! Une équipe de chercheurs et ingénieurs du CNRS du laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE – CNRS / Univ Claude Bernard / Vetagro Sup) et du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE – CNRS / Univ Montpellier / IRD / EPHE) a automatisé la reconnaissance individuelle de girafes sur des milliers de photos grâce aux techniques d'intelligence artificielle. Ces résultats sont parus le 18 mars 2021 dans la revue scientifique Methods in Ecology and Evolution.

Afin d’étudier la distribution, la démographie ou l’abondance des populations animales, un nombre croissant de suivis écologiques à long terme repose sur la ré-observation des individus au cours du temps. Ceci n'est évidemment faisable que si nous sommes capables de les reconnaître. Cette reconnaissance peut se faire à l'aide d'un marquage de l'animal, mais également, pour certaines espèces, de manière non-invasive - sans avoir à capturer les animaux - à partir de photographies. En effet, la variabilité naturelle des marques que les animaux portent sur leur peau ou leur fourrure peut permettre de les identifier sur les photographies. Ainsi, les individus de nombreuses espèces de mammifères possèdent cette particularité, comme les girafes, les tigres, les léopards, les zèbres et koudous, ou bien les baleines à bosses. À l'instar de nos empreintes digitales, le pelage de chaque individu de ces espèces présente des caractéristiques qui le rende unique et identifiable sans marquage artificiel. Cependant, l'analyse manuelle des photographies devient rapidement trop chronophage - sinon impossible - à mesure que le nombre de photographies et d’individus croit. L'aide de l'ordinateur et de l'intelligence artificielle devient donc indispensable.

C'est dans ce but qu'une équipe CNRS composée de membres du Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE – CNRS / Univ Claude Bernard / Vetagro Sup) et du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE – CNRS / Univ Montpellier / IRD / EPHE), menée par un tandem ingénieur/chercheur, Vincent Miele et Christophe Bonenfant (LBBE), a fait appel aux toutes dernières techniques de vision par ordinateur. Depuis 2014, des campagnes annuelles de terrain sont réalisées dans le parc national de Hwange, au Zimbabwe, l'une des zones atelier du CNRS, afin d'étudier l'écologie et la dynamique de la population de girafes. À partir de 4000 photographies de girafe rapportées du terrain, l'équipe a ainsi développé une chaine de traitements automatisée qui détecte les éléments similaires dans les pelages des flancs de girafes grâce à une combinaison de techniques d'intelligence artificielle. Le système final s'appuie sur l'apprentissage profond (deep learning) et consiste à projeter les photos dans espace mathématique de grande dimension, ce qui rend possible la mesure d'une distance entre chaque paire de photos. Ainsi, les photos d'un même individu se retrouvent très proches dans cet espace. En pratique, ce système de capture/recapture visuelle permet non seulement de reconnaître les girafes connues dans le suivi et construire leur histoire de vie, mais également de détecter les nouveaux individus non connus auparavant. Le gain de temps par rapport à une traitement manuel est conséquent puisque le système traite plusieurs photos par seconde.

Ces travaux participent à l'essor de l'automatisation de la reconnaissance individuelle animale et contribuent à la mise en place de suivis écologiques. Mis librement à disposition de la communauté, ce système de capture/recapture visuelle (et ses futures évolutions) pourra s'avérer également pertinent pour étudier d'autres espèces au-delà de la girafe.


 

Exemple d'une girafe reconnue par le système de capture/recapture visuelle
Exemple d'une girafe reconnue par le système de capture/recapture visuelle sur trois photographies prises en 2014 dans le parc national de Hwange, au Zimbabwe, l'une des zones atelier du CNRS. Crédits: Christophe Bonenfant

 

Objectifs de développement durable

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ODD 15 : Vie terrestre

Ces recherches participent à la conservation d'une espèce emblématique, la girafe, pour laquelle les derniers travaux montrent une diminution inquiétante d'abondance à l'échelle du continent africain. La limitation de l'érosion de la biodiversité est l'objectif n°15 des Nation Unies. Nos travaux permettent d'estimer l'abondance des populations, les variations temporelles et d'en déterminer les causes éventuelles. La méthode proposée est potentiellement applicable aux photos prises par les touristes (sciences participative), et à toutes les espèces dont il est possible de reconnaître les individus sur la base des marques distinctives sur la peau ou le pelage.

Références

Miele, V., Dussert, G., Spataro, B., Chamaillé-Jammes, S., Allainé, D., & Bonenfant, C. (2021). Revisiting giraffe photo-identification using deep learning and network analysis. Methods in Ecology and Evolution. DOI 10.1111/2041-210X.13577

Contact

Vincent Miele
Laboratoire Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE - CNRS / Univ. Claude Bernard / Vetagro Sup)
Christophe Bonenfant
Laboratoire Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE - CNRS / Univ. Claude Bernard / Vetagro Sup)
Simon Chamaillé-Jammes
Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE - CNRS / Université de Montpellier / Université Paul Valéry Montpellier 3 / EPHE / IRD)
Sylvain Charlat
Correspondant communication | Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE - CNRS / Université Claude Bernard / Vetagro Sup)