Reine marquée entourée d’ouvrières. Les reines, en bonne santé, émettent des phéromones très attractives pour les ouvrières. © Freddie-Jeanne Richard

Un fongicide perturbateur de la reproduction chez l’abeille

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Ces dernières décennies ont vu les populations de pollinisateurs chuter drastiquement. Dans ce cadre-là, cette étude évalue l’impact sur le long terme d’un fongicide largement utilisé, le boscalid, sur l’abeille domestique. Ces travaux publiés dans Environnemental Pollution montrent qu’exposer les reines au boscalid a des conséquences néfastes sur leur survie pendant la période nuptiale, mais aussi sur le fonctionnement de leur colonie lorsqu’elles réussissent à l’établir. Une reproduction sous-optimale des reines pourrait être l'un des principaux facteurs de perte des colonies.

Le déclin des insectes et des espèces pollinisatrices observé à l’échelle mondiale est inquiétant. Les abeilles sauvages et domestiques sont des agents de pollinisation essentiels pour l’équilibre des écosystèmes, le maintien de la diversité floristique et la production agricole. Parmi les causes notables de ce déclin, se trouvent la perte et la fragmentation de l’habitat, les espèces envahissantes, les pathogènes et les pesticides. Bien que les effets de ces facteurs soient examinés attentivement, aucune étude antérieure n'a pu les corréler aux pertes de colonies à facteur unique.

Le rôle des pesticides dans ce déclin est probablement sous-estimé. Ces derniers se retrouvent fréquemment à l’état de traces dans les différentes matrices des colonies d’abeilles. C’est notamment le cas de fongicides utilisés pour tuer les champignons, en particulier pendant la floraison dans les vergers ou sur le colza, des cultures où la pollinisation est essentielle. Bien que les abeilles ne fassent pas parties des espèces ciblées par ces traitements, elles y sont fortement exposées. Leurs effets, à des concentrations trouvées dans les cultures, sur la santé des colonies ainsi que sur celle des reines les mois suivant l’exposition viennent de faire l’objet d’une étude réalisée entre le laboratoire EBI à Poitiers et l’unité Apis de l’INRAE du Magneraud.

Les effets sur la reine

Des reines émergentes sont exposées par l’intermédiaire des ouvrières à une concentration de Boscalid semblable à celle trouvée dans les cultures, soit sous forme pure, soit dans sa formule commerciale (Pictor Pro ®), pendant 48h au printemps. Les reines exposées au fongicide meurent significativement plus pendant et peu après la période des vols nuptiaux. Les analyses sur la descendance des reines ayant survécu au vol nuptial montrent également qu’elles s’accouplent avec 23% de mâles en moins que les reines non exposées. A l’automne, quatre mois après le début de l’expérience, les reines exposées au fongicide ont également 29% moins de spermatozoïdes stockés dans leur spermathèque que les reines non exposées. Cette moindre réserve en spermatozoïdes pourrait limiter la fécondation des reines et donc leur longévité.

Cellule royale recouverte par des jeunes ouvrières indispensables pour nourrir la reine dès son émergence
Cellule royale recouverte par des jeunes ouvrières indispensables pour nourrir la reine dès son émergence. © Freddie-Jeanne Richard 

Les effets sur la colonie

Les suivis sur le long terme des colonies établies par les reines survivantes montrent des problèmes de fonctionnement. Ces perturbations au niveau de la colonie correspondent à des conditions de stress nutritionnel et peuvent résulter d'une réduction de l'apport énergétique de la reine aux œufs. En accord avec cette explication, nous avons constaté que les reines exposées présentaient une diminution des niveaux d'expression génétique d’une protéine impliquée dans la formation des corps jaunes.

Reine marquée entourée d’ouvrières. Les reines, en bonne santé, émettent des phéromones très attractives pour les ouvrières.
Reine marquée entourée d’ouvrières. Les reines, en bonne santé, émettent des phéromones très attractives pour les ouvrières. © Freddie-Jeanne Richard

Des procédures d’évaluation de la toxicité à reconsidérer

Les résultats de cette étude indiquent que le Boscalid aux doses maximales trouvées dans le pollen diminue la qualité de la reproduction des reines d'abeilles mellifères, ce qui confirme la nécessité d'inclure la reproduction dans les caractéristiques mesurées au cours des procédures d'évaluation des risques liés aux pesticides.

A ce jour, l’évaluation des risques liés aux pesticides sur les pollinisateurs avant leur autorisation de mise sur le marché concerne seulement les ouvrières et ne considère donc pas leurs effets sur les reproducteurs (femelles et mâles). Chez les abeilles domestiques et d'autres insectes monogynes, une seule femelle, la reine, remplit les fonctions reproductives de l'ensemble de la colonie. Étant donné le rôle clé des reines au sein des colonies, une qualité de reproduction sous-optimale des reines pourrait être l'un des principaux facteurs de perte des colonies.

Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre du projet « EXPLORA », avec le soutien financier de l’OFB dans le cadre de l’APR  « Produits phytopharmaceutiques : de l’exposition aux impacts sur la santé humaine et les écosystèmes » lancé dans le cadre du plan Écophyto II+ et co-piloté par les ministères de la transition écologique, de l’agriculture et de l’alimentation, des solidarités et de la santé et de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Laboratoires CNRS impliqués

Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI - Université de Poitiers / CNRS)

Référence de la publication

Pineaux M, Grateau S, Lirand T, Aupinel P, Richard F-J., 2023. Honeybee queen exposure to a widely used fungicide disrupts reproduction and colony dynamic. Environmental Pollution.

Objectifs de développement durable

Objectifs développement durable

Objectif 15 : Vie Terrestre

 

L’abeille constitue un indicateur de santé des écosystèmes terrestres. Elle est directement impactée par les produits phytosanitaires tout en révélant leur niveau de présence dans l’environnement. Le fait de détecter des effets de certaines molécules sur les abeilles permet d’alerter sur les niveaux de dangerosité de certains traitements sur cet insecte ainsi que potentiellement sur toutes les autres espèces non-cibles, et donc d’inciter à des pratiques plus respectueuses de la santé environnementale et du bon fonctionnement des écosystèmes.

Contact

Isabelle Giraud
Communication - Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI - CNRS / Université de Poitiers)
Freddie-Jeanne Richard
Laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions (EBI - Université de Poitiers / CNRS)