Les lézards herbivores à la pointe de l’évolution dentaire

Résultats scientifiques Ecologie fonctionnelle

Des chercheurs ont découvert que les dents complexes, une caractéristique des mammifères, ont aussi évolué plusieurs fois chez les reptiles, favorisant le succès évolutif des lézards herbivores. Cependant, contrairement aux mammifères, l’évolution de leurs dents n’était pas à sens unique. L’étude, publiée dans Nature Communications, révèle que des dents portant de multiples pointes (appelées « cuspides ») ont évolué dans plusieurs groupes de lézards à de multiples reprises et coïncident avec deux éléments : l’apparition de régimes alimentaires herbivores et une augmentation des taux de spéciation, c’est-à-dire de la vitesse à laquelle de nouvelles espèces apparaissent. Étonnamment, l’évolution vers ce type de dents plus complexes semble beaucoup plus labile – les reversions vers d’autres régimes alimentaires étant plus fréquentes – chez les lézards et serpents que chez les mammifères. Cela met en lumière une vision plus nuancée de l’évolution des adaptations dentaires et alimentaires chez les vertébrés.

La forme des dents est intimement liée au régime alimentaire

De nombreux chercheurs ont richement documenté le lien entre morphologie dentaire et régime alimentaire chez les mammifères, démontrant que la diversité dentaire est intimement associée à leur succès évolutif. Mais qu’en est-il chez les autres animaux dotés de dents ? Les auteurs de ces recherches ont choisi d’étudier les squamates, le groupe qui inclut les lézards et les serpents. En effet, les dents des squamates n’avaient reçu que peu d’attention jusqu’à présent, bien qu’ils représentent deux fois plus d’espèces que les mammifères et occupent de nombreuses niches écologiques sur toute la planète.

Les chercheurs ont mené des analyses comparatives sur la forme de la dent et le régime alimentaire de plus de 500 espèces fossiles et actuelles. L’étude propose que l’ancêtre commun à tous les serpents et lézards avait des dents coniques simples, se nourrissait d’insectes et que les dents complexes portant plusieurs cuspides (similaires à celles des premiers mammifères) ont par la suite évolué indépendamment et à de multiples reprises dans différents groupes de lézards. L’apparition de ces dents multicuspidées a permis à certains groupes de lézards d’acquérir une alimentation plus riche en plantes, et parfois contribué en retour à l’évolution de formes dentaires très spécialisées (comme par exemple chez les iguanes actuels).

Une évolution dentaire à double sens

L’équipe de scientifiques propose que l’apparition de ces dents multicuspidées et les transitions vers l’herbivorie procureraient un avantage évolutif favorisant l’apparition de nouvelles espèces. Cependant, de nombreuses lignées de lézards ont également perdu leurs dents complexes pour revenir à la morphologie dentaire ancestrale simple. Une surprise pour les chercheurs, car les dents complexes ont été une innovation clé pour les squamates comme pour les mammifères.

L’étude suggère que de nombreux vertébrés terrestres connaissent des pressions de sélection pour une augmentation du nombre de cuspides en lien avec la consommation de plantes. Néanmoins, des différences fondamentales distinguent les squamates. Contrairement aux mammifères pour lesquels ces évolutions « clés » ont souvent été qualifiées de « piège évolutif » car très rarement réversibles, l’évolution des dents chez les squamates ne s’est pas faite à sens unique, et de nombreuses lignées ont perdu cette complexité dentaire au cours du temps. Cette différence pourrait provenir de variations du développement dentaire, suggérant que des différences génétiques mineures peuvent conduire à des résultats largement différents à l’échelle des temps évolutifs. Ce travail nous donne une compréhension plus nuancée de la façon dont la même adaptation cruciale a évolué dans différents groupes de vertébrés.

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Reconstruction 3D du crâne d’un ameive commun (Ameiva ameiva) obtenue par microtomographie aux rayons X. Des dents complexes portant plusieurs pointes (appelées « cuspides ») sont visibles sur les mâchoires. Cette caractéristique partagée avec les premiers mammifères a évolué à de multiples reprises dans des groupes indépendants de lézards. Crédits : Fabien Lafuma, University of Helsinki.

Laboratoire CNRS impliqué

Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / Université Claude Bernard / Ecole nationale des Travaux publics de l’Etat)

Référence

Lafuma, F., Corfe, I.J., Clavel, J., and Di-Poï, N. Multiple evolutionary origins and losses of tooth complexity in squamates. Nature Communications 12 6001 (2021) DOI : 10.1038/s41467-021-26285-w

Contact

Julien Clavel
Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat)
Fabien Lafuma
Université d’Helsinki
Ian Corfe
Centre de Recherche Géologique de Finlande
Nicolas Di-Poï
Institut de Biotechnologie de l’Université d’Helsinki
Anne-Kristel Bittebière
Correspondante communication - Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / Université Claude Bernard / Ecole nationale des travaux publics de l'Etat))