La morphologie de la mandibule comme traceur du régime alimentaire

Résultats scientifiques

La morphologie de la mandibule, l’os de la mâchoire inférieure, reflète-t-elle le régime alimentaire de l’animal auquel elle appartient ? Grâce à une expérimentation chez le cochon, des chercheurs du Laboratoire Paléontologie Évolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie et du laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements ; ont pu déterminer pour la première fois que la consommation d'une quantité importante d’aliments de petite taille (des graines d’orge et de maïs) modifie significativement la morphologie de la mandibule. Ces résultats publiés dans la revue The Anatomical Record permettront à l’avenir d’utiliser la forme de la mandibule comme un outil supplémentaire pour mieux définir le régime alimentaire des espèces d’hominidés éteintes.

Le régime alimentaire des mammifères est souvent associé à des adaptations anatomiques importantes. La mandibule, c’est-à-dire l’os de la mâchoire inférieure, est l'une des principales structures impliquées dans les fonctions masticatoires. La relation entre régime alimentaire et forme de la mandibule reste pourtant floue à l’heure actuelle, soulevant des questions quant aux possibilités de reconstitution du régime alimentaire des espèces disparues. Ainsi la morphologie robuste de la mandibule des espèces du genre éteint Paranthropus, appartenant à la famille des hominidés, a été attribuée tantôt à des aliments particulièrement durs (comme les noix) tantôt à des aliments de taille réduite (notamment des petites graines) nécessitant une mastication puissante et répétée.

Afin de déterminer l'effet de la dureté et de la taille des aliments sur la morphologie de la mandibule, les chercheurs ont mis en place une expérimentation chez le cochon (Sus scrofa) qui possède une morphologie dentaire, une épaisseur d’émail et un mouvement de mastication proche de celui des hominidés. Un groupe contrôle a été nourri de farine et d’autres groupes ont reçu en supplément des noisettes (aliment dur et de taille importante), de l’orge ou du maïs (tous deux des aliments moins durs et de taille plus réduite) pendant une période de 30 à 95 jours. Les chercheurs ont ensuite étudié les différences morphologiques entre les groupes en utilisant des techniques de morphométrie géométrique tridimensionnelle.

Les résultats montrent que la consommation d'une quantité importante de graines modifie substantiellement la morphologie de la mandibule au cours du développement des cochons. Les analyses suggèrent que ces différences sont dues à la taille des graines plutôt qu'à leur dureté. Les résultats expérimentaux chez le cochon confirment l’hypothèse selon laquelle la mandibule robuste de Paranthropus n'est pas une spécialisation à un régime alimentaire constitué d’objets durs. À l’inverse, cette morphologie est plus probablement une adaptation à des aliments de taille réduite, incluant des petites graines. Plus largement, notre étude souligne le rôle significatif des graines, souvent considérées comme des aliments consommés principalement pendant les périodes de pénurie de nourriture, dans les variations de la forme de la mandibule. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives quant à l'utilisation de la morphologie de la mandibule afin de reconstituer le régime alimentaire des espèces éteintes en complément des méthodes existantes (analyse des micro-usures dentaires, étude de la composition biogéochimique de l’émail).

Schéma
Analyse en composantes principales de la forme de la mandibule. Le groupe contrôle (en noir) est proche des groupes ayant consommé des noisettes (en bas à droite, aliment dur et de taille importante) mais significativement différents des groupes ayant consommé de l’orge et du maïs (en haut à gauche, aliments moins durs et de taille réduite). L’analyse suggère donc des différences liées à la taille des graines plutôt qu'à leur dureté.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements (AASPE - CNRS / MNHN)
  • Laboratoire Paléontologie Evolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM – CNRS / Université de Poitiers)

Contact

Dimitri Neaux
Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements (AASPE - CNRS / MNHN)
Gildas Merceron
Correspondant communication - Laboratoire Paléontologie Evolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM - CNRS / Université de Poitiers)