Nouveau regard sur la domestication de la poule : une histoire de riz et d’oiseau exotique

Résultats scientifiques

La domestication de la poule a longtemps été sujet de débats, mais de nouvelles recherches publiées dans les revues PNAS et Antiquity transforment notre compréhension de son origine. Des chercheurs du CNRS, du MNHN, des universités de Toulouse, Munich, Exeter, Cardiff, Oxford, et de l’INAPL ont découvert qu’une association avec la culture du riz en Asie du Sud-Est aurait déclenché un processus conduisant à la domestication de la poule il y a seulement  3 500 ans. Qui plus est, suivant sa dispersion à travers le monde, elle aurait été initialement considérée comme animal ‘exotique’ avant de devenir ‘source de nourriture’…

Bien que la poule soit l’oiseau domestique le plus innombrable de la planète, les origines et circonstances de sa domestication ainsi que les chemins empruntés lors de sa dispersion à travers le monde restent controversés. De précédents travaux avaient affirmé une domestication en Chine, en Asie du Sud-Est ou en Inde il y a environ 10 000 ans, et avaient postulé que la poule domestique était présente en Europe il y a plus de 7 000 ans. De nouvelles recherches publiées dans les revues PNAS et Antiquity montrent que ces affirmations étaient erronées et que le mécanisme de la domestication de la poule a été l'arrivée de la riziculture sèche en Asie du Sud-Est, lieu où vivait leur ancêtre sauvage, le coq doré. Tel un aimant, cette culture du riz a attiré cette espèce sauvage arboricole et a ainsi déclenché une relation plus étroite entre ces oiseaux et les populations humaines, donnant ultérieurement naissance à la poule domestique.

L'équipe internationale de recherche du CNRS, du MNHN, des universités de Toulouse, Munich, Exeter, Cardiff, Oxford, ainsi que d’autres instituts en Allemagne et en Argentine, a réévalué les restes de poules trouvés dans 600 sites archéologiques à travers 89 pays. Ces chercheurs ont examiné les squelettes, les lieux d'inhumation et les registres historiques des sociétés et cultures dans lesquelles les ossements ont été retrouvés. Les plus anciens ossements ayant appartenu avec certitude à des individus domestiques ont été identifiés sur le site néolithique de Ban Non Wat, au cœur de la Thaïlande, et datent de 1 650 à 1 250 av. J.-C. Le professeur Greger Larson, de l'université d'Oxford, indique : « Cette réévaluation complète des poules démontre tout d'abord à quel point nos connaissances sur la date et le lieu de sa domestication étaient erronées. Encore plus excitant, nous montrons comment l'arrivée de la riziculture sèche a agi tel un catalyseur à la fois pour le processus de domestication de la poule ainsi que pour sa dispersion globale. »

Ce processus de domestication était donc déjà enclenché vers 1 500 avant J.-C. dans la péninsule de l'Asie du Sud-Est. Les études suggèrent que les poules ont ensuite été transportées premièrement à travers l'Asie, puis à travers la Méditerranée, le long des routes empruntées par les premiers commerçants maritimes grecs, étrusques et phéniciens. « Avec leur régime alimentaire globalement très adaptable mais essentiellement à base de céréales, les routes maritimes ont joué un rôle particulièrement important dans la diffusion des poules en Asie, en Océanie, en Afrique et en Europe. » explique le professeur Joris Peters, de l’université Ludwig Maximilian de Munich et de la Bavarian State Collection of Palaeoanatomy en Allemagne.

La perception de cet oiseau domestique par les sociétés humaines au cours de ses 3 500 dernières années a également évolué de manière relativement surprenante. « Manger du poulet est si courant que les gens pensent que nous n'avons jamais cessé d'en manger. Nos découvertes montrent que notre relation passée avec les poules était bien plus complexe, et que les poules étaient célébrées et vénérées pendant des siècles. » remarque le professeur Naomi Sykes de l'université d'Exeter. En effet, durant l'âge du fer en Europe, les poules étaient vénérées et n'étaient généralement pas considérées comme nourriture. Les recherches dévoilent que plusieurs des plus anciens spécimens de poules domestiques sont enterrés seuls et non dépecés, tandis que beaucoup sont également retrouvés enterrés dans des sépultures humaines. Les hommes étaient souvent enterrés avec des coqs et les femmes avec des poules. L'Empire romain a ensuite contribué à populariser les poules et les œufs en tant que ressource alimentaire. En Grande-Bretagne, par exemple, les poules ont seulement commencé à être consommées de manière régulière à partir du troisième siècle après J.-C., principalement dans les sites urbains et militaires.

L'équipe a également utilisé la datation au radiocarbone pour dater 23 os faisant présumément partie des plus anciens individus domestiques retrouvés en Eurasie occidentale et dans le nord-ouest de l’Afrique. La plupart de ces restes se sont révélés être bien plus récents qu’on ne le croyait. Le Dr Julia Best, de l'université de Cardiff, déclare : « C'est la première fois que la datation au radiocarbone est utilisée à une si grande échelle pour déterminer l'importance de la poule dans les sociétés anciennes. Nos résultats démontrent la nécessité de dater directement les spécimens présumés anciens afin d’obtenir l’image la plus claire possible sur nos premières interactions avec les poules. »

Les résultats réfutent les affirmations selon lesquelles la poule était présente en Europe avant le premier millénaire avant notre ère et indiquent qu'elle est arrivée dans cette partie du monde vers 800 avant J.-C. Suivant leur arrivée dans la région méditerranéenne, il faudra attendre près de 1 000 ans avant que les poules ne s'établissent dans les climats plus froids d'Écosse, d'Irlande, de Scandinavie et d'Islande.

Le Dr Ophélie Lebrasseur, du Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse, CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier, France et de l'Instituto Nacional de Antropología y Pensamiento Latinoamericano, Ministère de la Culture, Argentine, conclut : « Le fait que les poules soient si omniprésentes et répandues aujourd'hui alors qu'elles n’ont été domestiquées que relativement récemment est surprenant. Notre recherche souligne l'importance de bonnes comparaisons ostéologiques, de datations stratigraphiques robustes et de replacer les spécimens présumés les plus anciens dans leur contexte culturel et environnemental. » A ceci, le professeur Mark Maltby, de l'université de Bournemouth, ajoute : « Ces études montrent la valeur des musées et l'importance du matériel archéologique pour révéler notre passé. »

Photo
: Squelette d’une poule domestique retrouvée sur le site de Weston Down, R.-U., une des plus anciennes poules domestiques retrouvées en Angleterre. La datation au radiocarbone confirme qu’elle date de l’âge du Fer (IV/IIIème siècle avant J.-C.). Une fracture guérie sur le tarsométatarse droit (deuxième os en partant de la droite) suggère que l’animal a été soigné. (© Julia Best and Grace Clark)

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT - CNRS / Université de Toulouse III Paul Sabatier)
  • Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnements (AASPE - CRNS / MNHN)

Références

Contact

Morgane Gibert
Correspondante communication - Centre d'Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT - CNRS/Univ Toulouse III Paul Sabatier)
Ophélie Lebrasseur
Centre d'Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT - CNRS / Université de Toulouse)