Une nouvelle théorie relie l'évolution des chromosomes sexuels et leur rôle dans la spéciation

Résultats scientifiques

Une étude parue dans Science propose une nouvelle théorie établissant un lien entre l’évolution singulière des chromosomes sexuels et leur rôle dans la spéciation, en provoquant la stérilité ou la mortalité des hybrides. Fondée sur la coévolution des régulateurs de l’expression génique, cette théorie apporte une avancée conceptuelle majeure dans un débat vieux d’un siècle.

En résumé

  • Les chromosomes sexuels jouent un rôle clé dans la spéciation, mais ce phénomène reste mal inexpliqué par les théories existantes.
  • Une nouvelle théorie établit un lien avec les processus à l’origine des chromosomes sexuels eux-mêmes.
  • Elle met en évidence comment la divergence des régulateurs d’expression entre espèces peut provoquer la stérilité ou la non-viabilité des hybrides, contribuant ainsi à l’isolement reproductif.

Les chromosomes sexuels jouent un rôle clé dans la génétique de la spéciation1 , comme en témoignent les célèbres "deux règles de la spéciation". La première, formulée par J. B. S. Haldane en 1922, stipule que chez les hybrides issus de croisements entre plusieurs espèces (interspécifiques), le sexe hétérogamétique (XY ou ZW) est généralement celui qui s'avère stérile ou non viable. La seconde règle, connue sous le nom de "Large X effect", souligne que le chromosome X ou Z exerce souvent une influence plus forte sur la viabilité et la fertilité des hybrides que les chromosomes non-sexuels (autosomes) de taille équivalente. Diverses théories ont été avancées pour expliquer ces phénomènes, mais aucune ne couvre tous les cas observés. Par ailleurs, elles restent souvent déconnectées des modèles généraux sur l’évolution des chromosomes sexuels.

Une étude menée par le Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Univ. Montpellier) et la Station Biologique de Roscoff (AD2M – CNRS / Sorbonne Université)  révèle une nouvelle théorie de l’évolution des chromosomes sexuels, fondée sur la coévolution des régulateurs cis et trans2  de l’expression des gènes. Cette coévolution peut provoquer un arrêt stable de la recombinaison entre les chromosomes X et Y (ou Z et W), la dégénérescence du Y (ou W), ainsi qu’un ajustement de l’expression des gènes, aussi appelé  compensation de dosage. Cette compensation correspond au fait qu’un gène actif sur un chromosome sexuel, par exemple le X, compense l’absence d’expression de ce même gêne sur l’autre chromosome sexuel, comme le Y.  

Les chercheurs ont étudié l’impact de cette coévolution sur la viabilité des hybrides interspécifiques, à différents stades de l’évolution des chromosomes sexuels. Ils observent que, dans tous les scénarios, les deux règles de la spéciation se manifestent. Ces phénomènes résultent de la divergence des régulateurs de l’expression génique entre espèces, causée par la dégénérescence du chromosome Y dans une ou les deux espèces concernées. 

Une nouvelle théorie prédit l’évolution conjointe des chromosomes sexuels et de l’isolement reproductif entre espèces. Elle prédit les principales caractéristiques de l’évolution des chromosomes sexuels ainsi que les "deux règles de la spéciation" (la règle de Haldane et le grand effet du X). © Laurence Meslin

Cette théorie basée sur la coévolution des régulateurs cis et trans permet ainsi d’expliquer à la fois l’évolution des chromosomes sexuels, la règle de Haldane et le Large X effect. Elle met également en exergue l’importance des problèmes de stérilité chez les hybrides. Par ailleurs, elle s’aligne avec des observations récentes sur les effets de la dérégulation génique chez les hybrides et ouvre de nouvelles perspectives pour mieux identifier les gènes responsables de l’isolement reproductif entre espèces.

 

Crédit photo haut de page : © Digite.de / Unsplash

  • 1La spéciation est le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes se forment à partir d'ancêtres communs.
  • 2Un élément cis-régulateur est une séquence d'ADN capable de moduler l'expression d'un gène présent sur le même chromosome. La notion de séquence cis s'oppose à celle de facteur trans qui désigne quant à elle les facteurs de transcription [processus par lequel l'information contenue dans un brin d'ADN est copiée dans une nouvelle molécule d'ARN messager] agissant sur ces séquences cis.

Référence de la publication

Lenormand, T., & Roze, D. (2025). A single theory for the evolution of sex chromosomes and the two rules of speciation. Science. Publié le 10 Juillet 2025.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Univ. Montpellier)
  • Adaptation et Diversité en Milieu Marin (AD2M – CNRS / Sorbonne Université) 

Contact

Thomas Lenormand
Directeur de recherche CNRS - Directeur adjoint du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (Université de Montpellier/CNRS/Université Paul Valéry Montpellier 3/ EPHE/ IRD