L’analyse génétique de sites funéraires révèle l’organisation familiale de sociétés du passé
L’analyse d’ADN retrouvé sur des sites funéraires européens datant du Néolithique et de l’âge du bronze a montré que les hommes étaient plus apparentés génétiquement entre eux que les femmes ne l’étaient entre elles, ce qui signifie qu’ils partagent une plus grande partie de leur patrimoine génétique. Mais alors, quelle était l’organisation familiale de ces sociétés ? Aujourd’hui, la plupart des sociétés sont soit patrilinéaires, c’est-à-dire que les enfants appartiennent au lignage du père, comme en Chine, soit bilatérales, avec des enfants rattachés de manière symétrique à leur famille paternelle et maternelle, comme c’est le cas en France. Une étude publiée dans la revue Proceedings of The Royal Society B montre que ces deux formes d’organisation sont compatibles avec les génomes issus de cette période protohistorique.
En résumé
- Les simulations de différents systèmes familiaux ont permis d’explorer les attendus génétiques de règles de filiation et de résidence post-maritale variées.
- Cette recherche remet en cause l'idée que ces sociétés étaient organisées selon un modèle patrilinéaire
- En revanche, elle confirme que dans ces sociétés européennes du Néolithique et de l’âge du bronze, les femmes adultes quittaient leur famille pour vivre dans leurs belles-familles
Ces dernières années, plusieurs études ont analysé l'ADN de restes osseux d'anciens sites funéraires situés en Europe datant du Néolithique et de l’âge du Bronze [entre 6200 et 1200 av. J.-C.]. L’évaluation des liens de parenté entre les individus enterrés montre que les hommes d’une même société sont plus souvent apparentés entre eux, que les femmes entre elles (c’est-à-dire qu’ils partagent une plus grande partie de leur patrimoine génétique).
En s’appuyant sur ces données, des chercheuses du laboratoire Éco-Anthropologie (EA - CNRS / MNHN / Univ. Paris Cité) ont tenté de comprendre l’organisation familiale de ces sociétés du passé par le biais de simulations faisant varier la règle de filiation. Elles ont simulé des systèmes patrilinéaires, dans lesquels les enfants appartiennent au lignage du père (comme c’est le cas chez les Kazakhs et les Chinois Han) et des systèmes matrilinéaires, dans lesquels les enfants appartiennent au clan de la mère (comme c’est le cas chez les Iroquois et les Trobriands). Dans ces deux systèmes, les lignages et clans ont souvent des fonctions sociales variées, politiques, religieuses et économiques. Enfin, les scientifiques ont également simulé des systèmes bilatéraux, dans lesquels les enfants sont rattachés de manière équivalente à la fois à la famille paternelle et maternelle (comme c’est le cas chez les Français et les Inuits).
En parallèle, elles ont aussi fait varier la règle de résidence du couple et pris en compte les lieux d’inhumation les plus fréquents propres à chaque type d’organisation sociale. Par exemple, dans une société patrilinéaire, les femmes pouvaient être enterrées avec leur belle-famille ou leur famille natale.
Le cas a) représente un système de filiation patrilinéaire dans lequel les enfants appartiennent au groupe de filiation de leur père (lignage et clan). Les lignes grises représentent les liens généalogiques entre les hommes de la génération actuelle et son ancêtre.
Le cas b) représente une société à filiation bilatérale et à résidence patrilocale Les cercles isolés représentent les femmes de la génération précédente nées dans un lieu différent. Seuls les liens généalogiques entre un homme de la génération actuelle et ses deux parents sont représentés par des lignes grises. © Léa Guyon et Raphaëlle Chaix
Les résultats obtenus révèlent que les filiations patrilinéaire et bilatérale sont toutes deux compatibles avec un plus grand apparentement entre hommes qu'entre femmes, et remettent en question l’idée selon laquelle l’Europe protohistorique aurait été patrilinéaire. En outre, cette étude confirme que ces sociétés étaient fortement patrilocales, signifiant que les femmes venaient habiter dans leur belle-famille, à la différence de sociétés plus anciennes du Néolithique anatolien. Ce travail ouvre ainsi la voie à une interprétation plus rigoureuse de l’organisation sociale et familiale des populations humaines issues du passé.
Crédit photo bandeau haut de page : © Henry DE LUMLEY/CNRS Images
Laboratoires CNRS impliqués
- Éco-anthropologie (EA-CNRS / MHNH / Univ Paris Cité)
Référence de la publication
Guyon, L., Heyer, E., & Chaix, R. (2025). Was descent in Neolithic and Bronze Age Europe patrilineal or bilateral ? Proceedings Of The Royal Society B Biological Sciences. Publié le 29 octobre 2025