Alimentation et cancer : des liens conservés dans l’arbre du vivant

Résultats scientifiques

Les liens entre apport calorique et cancer sont connus pour plusieurs animaux dont l’humain, mais leur généralisation à tous les organismes multicellulaires reste mal connue. Une étude menée chez les hydres et les poissons zèbres, entre la France, le Canada, la Hongrie et l’Australie, et publiée dans Scientific Reports, a montré qu’une restriction alimentaire prévenait ou ralentissait le développement des cancers par rapport à des régimes riches. Ainsi, l’impact de la disponibilité en ressources ne réside pas sur le nombre de cellules devenant mutantes mais plutôt sur la favorisation de leur prolifération une fois apparues.

En résumé

  • Un trop grand apport calorique est connu pour favoriser le cancer chez les mammifères comme l’humain, mais ce lien n’a pas été généralisé à d’autres organismes multicellulaires
  • Chez les hydres et les poissons zèbres, une restriction alimentaire prévient le développement des cancers ou réduit leur vitesse de progression par rapport à des régimes riches
  • Ainsi, l’impact de la disponibilité en ressource réside sur la favorisation de la prolifération des cellules mutantes apparaissant sporadiquement (phénomène normal), soulignant l’importance de maitriser l’apport calorique comme facteur préventif du cancer.

 

Les régimes riches en calories sont reconnus pour entraîner de nombreux problèmes de santé, dont le cancer. Cependant, il n'est pas clair si le lien entre le régime alimentaire et le cancer est généralisé et s'applique à tous les organismes multicellulaires. L'étude des effets du régime alimentaire sur l'émergence et la progression des tumeurs chez une diversité d'organismes est cruciale pour identifier des schémas et des mécanismes conservés au cours de l’évolution, pouvant ainsi contribuer à la découverte de thérapies et de remèdes contre le cancer.

Dans cette recherche1 , nous avons utilisé deux modèles animaux très éloignés pour examiner l'impact de la disponibilité alimentaire sur l'émergence et la progression des tumeurs : l'hydre Hydra oligactis (un petit invertébré d'eau douce appartenant à une branche précoce de l'arbre animal) et le poisson zèbre (Danio rerio). Des individus issus de lignées saines et de lignées prédisposées aux tumeurs ont été soumis à quatre régimes alimentaires différents, variant en termes de fréquence et de quantité (riche tous les jours, riche une fois par semaine, pauvre tous les jours, pauvre une fois par semaine).

Dans les deux modèles animaux, l'implémentation d'une restriction alimentaire au stade précoce de la tumorigenèse a eu un effet préventif sur l'apparition des tumeurs. En d'autres termes, cela a conduit à une réduction du nombre d'individus porteurs de tumeurs par rapport à une situation de suralimentation. Cependant, lorsque les tumeurs étaient plus avancées, la restriction alimentaire ne les éliminait pas. Elle ralentissait cependant leur progression. À l'inverse, la suralimentation favorisait à la fois l'émergence et la croissance des tumeurs, entraînant une augmentation du nombre d'individus porteurs de tumeurs et des tumeurs de taille plus importante.

visuel hydres
Figure 1 : Phénotype des hydres saines et tumorales des lignées clonales de Saint-Pétersbourg. (A) Hydre saine de la lignée sans tumeur : le corps est long et mince, et le nombre de tentacules ne dépasse pas 7. (B) Hydre tumorale de la lignée tumorale : de nombreuses tuméfactions épaississent le corps, et les tentacules sont surnuméraires (c.-à-d. égaux ou supérieurs à 8). Les photos sont prises avec une loupe trinoculaire, barre d'échelle : 1 mm. © Photographie : Sophie Tissot, traduit de Tissot et al. 2023, CC BY 4.0.
visuel poissons zèbres
Figure 2 : Phénotype du poisson zèbre sain et tumoral. (A) Poisson zèbre sain de la souche AB. (B) Poisson zèbre avec des nevi (c'est-à-dire des lésions précancéreuses) de la souche transgénique kita-GFP-RAS : le schéma de pigmentation est altéré. (C) Poisson zèbre avec nevi et tumeur de la souche transgénique kita-GFP-RAS : en plus du motif modifié, un mélanome s'est développé sur le dos du poisson. © Photographie : Marina Mione, traduit de Tissot et al. 2023, CC BY 4.0.

D'un point de vue évolutif, ces résultats suggèrent que le problème central réside moins dans la présence de cellules mutantes (un processus normal et régulier) que dans la disponibilité de ressources permettant leur prolifération continue. Par ailleurs, les variations de la disponibilité alimentaire, telles que celles observées dans le milieu naturel, pourraient fonctionner comme un mécanisme de purge contre les cellules précancéreuses qui ont tendance à apparaître spontanément et fréquemment dans le corps de l'hôte. Par conséquent, l'augmentation soudaine de la disponibilité alimentaire dans les sociétés modernes, en particulier en termes de fréquence et de quantité, pourrait potentiellement contourner ce mécanisme anticancéreux évolutivement conservé, résultant en une augmentation du risque de cancer. 

  • 1Cette étude, pilotée par le CNRS, résulte d’une collaboration France (CNRS, IRD, Université de Montpellier, INSA, INRAE), -Australie (Deakin University, University of Tasmania, Western Sydney University)-Canada (University of New Brunswick)-Hongrie (University of Debrecen).

Référence

Tissot, S., Guimard, L., Meliani, J., Boutry, J., Dujon, A., Capp, J., Tökölyi, J., Biro, P. A., Beckmann, C., Fontenille, L., Khoa, N. D., Hamede, R., Roche, B., Újvári, B., Nedelcu, A. M., & Thomas, F. The impact of food availability on tumorigenesis is evolutionarily conserved. Scientific Reports, publié le 14/11/23.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC - CNRS/IRD/Univ. Montpellier)
  • Toulouse Biotechnology Institute, Bio & Chemical Engineering (TBI - CNRS/INRAE/INSA Toulouse)

Contact

Frédéric Thomas
Chercheur CNRS - Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC - CNRS/IRD/Université de Montpellier)
Sophie Tissot
Doctorante - Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC - CNRS/IRD/Université de Montpellier)
Katia Grucker
Correspondante communication - Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC - CNRS/IRD/Université de Montpellier)