Apprendre à marcher sur deux jambes, les babouins aussi développent naturellement leur bipédie

Résultats scientifiques

La question du développement locomoteur est un élément clé de la mise en place des capacités locomotrices. Au cours de l'évolution, des changements des trajectoires développementales peuvent mener à l'émergence de nouvelles capacités de mouvement, comme la bipédie chez les hominines (membres de la lignée humaine). Ces processus restent malheureusement inexplorés en paléoanthropologie en raison de la rareté du matériel fossile juvénile. L'approche comparative sur des modèles actuels est porteuse d'opportunités pour nous éclairer sur ces aspects. L'analyse de la marche bipède occasionnelle du babouin au cours de son développement nous révèle que les juvéniles ne marchent pas de la même manière que les adolescents et les adultes. Le contrôle moteur pour assurer l'équilibre bipède semble focalisé sur la partie supérieure de la jambe chez les jeunes, alors que celui-ci est focalisé au niveau de la cheville chez les babouins plus âgés. Cette trajectoire développementale liée au contrôle de la marche bipède ressemble, dans une certaine mesure, à celle observée chez l'être humain.

D'importantes modifications des processus développementaux ont eu lieu au cours de l'évolution des primates en général, et des hominines (membres de la lignée humaine) en particulier. Dans une perspective évolutionnaire, la question des processus développementaux menant aux capacités locomotrices chez les hominines reste complètement ouverte en raison de la rareté du matériel fossile pour des individus juvéniles. Par conséquent, comprendre les processus développementaux qui influent sur la pratique de la marche bipède chez des espèces phylogénétiquement proches, comme le babouin et l'être humain, peut nous éclairer sur la mise en place graduelle de ce mode locomoteur au sein de répertoires locomoteurs archaïques.

Les babouins ne sont pas adaptés à la marche bipède. Pourtant ils marchent spontanément en bipédie dans divers contextes depuis les premières périodes de leur développement. Cette utilisation de la bipédie reste néanmoins occasionnelle au sein de leur répertoire de mouvements, principalement quadrupède. Il a été précédemment démontré par l’équipe scientifique qui a mené la présente étude que les babouins sont capables de marcher sur leurs deux jambes de manière stable et coordonnée. Dans ce contexte, une question fondamentale se pose : comment les babouins mettent-ils en place cette bipédie au cours de leur développement ? Et est-ce que celle-ci s'améliore avec l'âge ? Une hypothèse avait été précédemment émise : le développement neuromoteur du mode préférentiel d'une espèce de primate peut conduire à l'amélioration de modes locomoteurs secondaires, comme la marche bipède. En effet, les primates actuels ne se cantonnent pas à l'utilisation d'un mode locomoteur unique, mais ils développent des répertoires de mouvements. L’hypothèse se basait donc sur cette observation et sur la description de réseaux neuronaux (chez l'être humain notamment) qui seraient partagés pour la pratique de différents modes locomoteurs chez un même individu.

Afin d'explorer ces questions, une étude de la marche bipède du babouin olive (Papio anubis) a été menée au sein de la station de primatologie du CNRS. Grâce à l'utilisation d'un plateau technique d'analyse du mouvement directement installé dans l'enclos des animaux, les chercheurs ont pu enregistrer et décrire la cinématique articulaire de la marche bipède effectuée spontanément au sol. Ils ont travaillé sur un large échantillon ontogénétique afin de comparer les performances de différentes classes d'âge.

Les résultats montrent que les babouins juvéniles maintiennent un appui au sol relativement plus long que les babouins adolescents et adultes, et la vitesse de progression n'a pas d'influence sur cette phase d'appui pour les jeunes alors qu'elle se réduit graduellement avec la vitesse chez les singes plus âgés. Cela suggère dans un premier temps une nécessité de maintenir un contrôle de l'équilibre plus important chez les jeunes. De plus, le mouvement de la cuisse est influencé par la vitesse chez les juvéniles et l'amplitude du mouvement de l'angle du genou est réduite, alors que cette amplitude augmente avec la vitesse chez les babouins plus âgés. Ces différences subtiles de mouvements, et leurs relations à la vitesse, permettent de proposer que les jeunes maintiennent un contrôle plus important et différent de celui des adultes pour la pratique de la marche bipède. La bipédie représente un défi pour l'équilibre par rapport à la quadrupédie, et les juvéniles réussissent à utiliser ce mode en appliquant une stratégie dite de "blocage", c'est-à-dire qu'il y a une réduction du mouvement des jambes et ce contrôle semble s'opérer principalement au niveau de la partie haute de la jambe. Au contraire, les babouins plus âgés semblent opérer un contrôle plus distal, au niveau de la cheville qui permet d'allonger le pas avec la vitesse. Le maintien de l'équilibre apparaît donc moins ardu chez les adultes.

Chez l'enfant humain, le développement de la marche bipède passe initialement par la stabilisation de la hanche, puis le contrôle devient graduellement sélectif et les opérations se focalisent sur la cheville. La stratégie de contrôle de l'équilibre bipède lors de la marche semble donc suivre le même modèle chez le babouin, un primate non-adapté pour la bipédie. Dans une perspective paléoanthropologique, ces résultats parus dans la revue American Journal of Biological Anthropology permettent de suggérer que les premiers hominines devaient certainement être capables de résoudre le défi de l'équilibre en bipédie, et ce, relativement précocement. L'organisation du modèle de développement du contrôle de la marche bipède est susceptible de suivre le même modèle, passant ainsi par un contrôle accru de la hanche, puis un contrôle distal au niveau de la cheville.

Singe debout
Babouin adolescent marchant en bipédie sur la plateforme de biomécanique située à la station de primatologie du CNRS

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Histoire Naturelle de l'Homme Préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / UPVD)
  • Station de primatologie (CNRS)
  • Anthropologie bio-culturelle, Droit, Ethique et Santé (ADES - CNRS / Aix-Marseille Université / EFS)

Référence

Druelle, F., Özçelebi, J., Marchal, F., & Berillon, G. (2021). Development of bipedal walking in olive baboons, Papio anubis: A kinematic analysis. American Journal of Biological Anthropology, 1–16.

Contact

François Druelle
Histoire Naturelle de l'Homme Préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / UPVD)
Gilles Berillon
Histoire Naturelle de l'Homme Préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / UPVD)
Amélie Vialet
Correspondante communication - Histoire Naturelle de l'Homme Préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / UPVD)