Au cœur des techniques mésolithiques : un artefact composite sous toutes ses coutures

Résultats scientifiques

Une analyse transdisciplinaire mobilisant datation 14C, analyses techno-fonctionnelles de l’outillage, archéobotanique, chimie organique, imageries radiographique et MEB a permis de caractériser les matériaux utilisés et la fabrication d’un artefact exceptionnel daté de 10200 ans.  Les résultats, publiés dans Antiquity, montrent comment une série de gestes simples, en mobilisant des connaissances poussées des propriétés des matériaux et des savoir-faire diversifiés, mènent à l’élaboration d’une arme de chasse complexe. 

En 2013, un objet composite remarquable est mis au jour sur le site de tourbière de Krzyż Wielkopolski (Pologne occidentale). C’est une pointe en matière dure d’origine animale comportant un manche en bois cassé à son extrémité, recouverte d’une fine couche adhésive noire. Ce type d’objets est très rare car dans la plupart des sites mésolithiques, les matériaux organiques ne sont pas préservés et les archéologues doivent raisonner sans cette partie manquante -bien que majoritaire- de la culture matérielle. Afin de comprendre les modes de fabrication, de même que la nature exacte des matériaux employés ainsi que la fonction de la pointe de Krzyż, un panel de méthodes analytiques a été mis en synergie par une équipe de chercheurs polonais et français.

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L’objet composite mis au jour à Krzyż Wielkopolski 7.(©E. David, radiographie NZOZ Klinika Promienista, Poznań)

La radiographie fondée sur les rayons X montre que les deux côtés de la pointe étaient fixés au manche par deux séries de fines ligatures, ce qui était passé inaperçu lors de l’examen initial, ces liens étant localisés sous la couche adhésive. De plus, les analyses microanatomiques et technologiques ont montré que le façonnage de l’objet s’est fait sur la base d’un fragment d’os long et d’une baguette de bois de pin sylvestre au fil droit. L’os et le bois ont été travaillés de manière expédiente avant d’être assemblés avec des ligatures en fibres végétales, observées au MEB, issues de l’écorce interne (liber) d’un feuillu indéterminé (angiosperme), l’état de préservation des liens n’ayant pas permis plus de précisions. La caractérisation biomoléculaire (FTIR, GC-MS) de la substance adhésive noire met en évidence l’utilisation de brai de bouleau, appliqué sous un état relativement liquide (premiers exsudats), peut-être par simple trempage. La mesure 14C effectuée sur le brai date l’objet d’environ 10200 ans (FIGURE 2).

L’analyse fonctionnelle de la partie appointée révèle des traces d’impacts diagnostiques de son utilisation comme projectile de chasse. Ainsi, cet objet - flèche ou harpon - semble avoir été utilisé à plusieurs reprises avant que la hampe en bois ne cède et que le projectile soit abandonné. Une véritable prouesse technique, non documentée auparavant, est que la symétrie indispensable à son fonctionnement en tant que projectile a été réalisée grâce à l’application du revêtement adhésif, permettant de gagner un temps considérable lors des premières étapes de la fabrication. Le brai de bouleau apparaît comme un matériau multifonctionnel, utilisé à la fois pour ses propriétés adhésives et hydrophobes, assurant non seulement la cohésion de l’objet fini, mais aussi sa protection et la symétrie requise pour une utilisation balistique.   

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Résultats des analyses pluridisciplinaires. Figure A. Henry. (Chromatogramme M. Rageot, M. Regert, A. Mazuy ; photos E. David, A. Henry. Microphotographie C. Cheval, A. Henry, F. Orange).

Cette analyse confirme que les techniques expédientes, longtemps considérées comme un aspect négatif d’une société mésolithique en régression par rapport aux civilisations du Paléolithique supérieur, sont parfaitement adaptées pour la production d’outils efficaces. La préservation exceptionnelle des matériaux organiques, en ouvrant une fenêtre privilégiée sur les systèmes techniques mésolithiques, illustre comment une série de gestes relativement simples, mobilisant des connaissances poussées des propriétés des matériaux et des savoir-faire diversifiés, mènent à l’élaboration d’un objet complexe lié aux activités de subsistance de ces groupes du début de l’Holocène. 

Laboratoire CNRS impliqué

  • Cultures, Environnements, Préhistoire, Antiquité, Moyen Age (CEPAM - CNRS / Université Côte d'Azur)

Référence

Kabaciński J., Henry A., David E., Rageot M., Cheval C., Winiarska-Kabacińska M., Regert M., Mazuy A., Orange F. (in press). Expedient and efficient: an Early Mesolithic composite implement from Krzyż Wielkopolski. Antiquity

Contact

Auréade Henry
Correspondant communication - Cultures et environnements, Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CEPAM, CNRS/ Univ. Côte d’Azur)