Cerf rusa de Nouvelle Calédonie : génétique d’une invasion, défis de la gestion

Résultats scientifiques

Des chercheuses et des chercheurs CNRS de Poitiers et de Rennes, du MNHN du Luxembourg et de l’Université de Cantabrie offrent une vision radicalement différente de la dispersion des cerfs rusa, espèce invasive, en Nouvelle-Calédonie. Leur étude génétique, publiée dans European Journal of Wildlife Research, révèle que les cerfs rusa forment une population unique, dont la distribution n’est pas impactée par les paysages. Pour être efficace, la gestion de cette espèce doit donc être menée à l'échelle de l'île.

En résumé

  • L’ensemble des cerfs rusa de Nouvelle Calédonie forme une population génétique unique, contrairement à ce que l’on pensait jusqu’à présent
  • Aucune caractéristique du paysage, qu’elle soit naturelle ou d’origine humaine, ne constitue une réelle barrière à la dispersion du cerf rusa.
  • La gestion de l’espèce invasive doit être menée à l’échelle de l’île et non, comme actuellement, à l’échelle de zones prioritaires

Les invasions biologiques sont l’une des cinq principales menaces pour la biodiversité. Elles ont des conséquences particulièrement dévastatrices sur les écosystèmes insulaires, comme c’est le cas pour la Nouvelle-Calédonie, hot-spot de biodiversité. Douze cerfs rusa de Java (Rusa timorensis) ont été introduits sur l’île principale de l’archipel calédonien, la Grande Terre, en 1870. A ce jour, la population compte plusieurs centaines de milliers d'individus. En détruisant la végétation et en limitant son renouvellement, le cerf rusa induit une déstabilisation des sols, qui conduit à l’engravement des cours d’eaux et par conséquent à des modifications majeures du réseau hydrique. Par ailleurs, les sols, une fois dénudés par l’action du cervidé, sont recolonisés par des espèces végétales invasives. Les conséquences sont dramatiques autant du point de vue de l’environnement que des activités humaines, comme l’agriculture. Pour ces raisons, le cerf rusa de Nouvelle-Calédonie est considéré comme une « catastrophe naturelle », et améliorer sa gestion constitue un enjeu environnemental et économique majeur. Actuellement, la gestion de l’espèce se focalise principalement sur quelques zones à fort enjeu environnemental, reconnues comme prioritaires. Cette stratégie de gestion est basée sur l’idée qu’il existe plusieurs populations de cerf rusa sur la Grande Terre et que les individus se déplacent peu. Cependant, une connaissance plus poussée de l’utilisation des territoires par le cerf rusa était nécessaire.

Pour comprendre comment cette espèce invasive utilise le territoire néo-calédonien, une étude de grande envergure a été menée par des chercheurs et chercheuses du CNRS, de l'Université de Poitiers, du MNHN du Luxembourg et de l’Université de Cantabrie. Cette étude a permis d’analyser l’ADN de 628 cerfs rusa répartis sur l’ensemble de la Grande Terre. Ces échantillons proviennent d’une collection de matériel biologique de cerf rusa unique au monde, constituée par Emilie Berlioz, inscrite au protocole de Nagoya, appartenant aux collections de l’Université de Poitiers (CVCU) et en dépôt au laboratoire Palévoprim. Cette publication est le premier résultat d’un projet scientifique interdisciplinaire plus vaste et ambitieux visant, via la collaboration d’experts en paléo- et néo-écologie, à explorer les multiples facettes de l’écologie de cette espèce invasive afin de mieux répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux que pose sa gestion.

L’objectif était d’étudier la structure génétique de la population et d’identifier, à l’aide de modèles de résistance des paysages, les potentielles barrières aux mouvements des cerfs, qu'elles soient naturelles ou liées à l’activité humaine.

Leurs résultats sont sans appel : les cerfs rusa constituent une seule population génétique avec des individus interconnectés. Si la dispersion des femelles est limitée, les mâles sont capables de se disperser sur de grandes distances. Les auteurs ont montré que les caractéristiques du paysage (cours d’eau, montagnes, routes, exploitations minières, etc.) n’influencent pas significativement l’utilisation des territoires par les cerfs.

En mettant en évidence leur utilisation des territoires, leur capacité de dispersion et la possibilité que des individus géographiquement distants se reproduisent, ces résultats offrent une vision radicalement différente de la mobilité de l’espèce. Les implications en termes de gestion sont d’une importance majeure : alors que les efforts se focalisent actuellement sur des zones dites « prioritaires », l’étude souligne le faible impact à long terme d’une telle stratégie. Au contraire, la réflexion doit prendre en compte l’ensemble du territoire.

EDDL Berlioz
Figure : Le cerf rusa, espèce invasive en Nouvelle Calédonie. En détruisant les sous-bois et en écorçant les arbres, le cerf rusa est l’un des principaux facteurs de destruction des paysages néo-calédoniens, impactant la faune et la flore, notamment endémique. Pour cette étude, l’ADN de 628 cerfs rusa répartis sur l’ensemble de la Grande Terre a été analysé. Crédits illustration : Lionnel Brinon, Emilie Berlioz, Sabine Riffaut.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Laboratoire Écosystèmes, biodiversité, évolution (ECOBIO, CNRS/Univ. Rennes)
  • Laboratoire Paléontologie Evolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM, CNRS/Univ. Poitiers)

Objectifs de développement durable

ODD

  • Objectif 15 : Vie terrestre.
    Cette étude contribue à l’objectif 15, « Vie terrestre ». En effet, les invasions biologiques constituent l’une des cinq principales menaces pour la biodiversité. Connaître l’écologie des espèces envahissantes, telles que le cerf rusa de Nouvelle-Calédonie, fournit les leviers nécessaires à leur meilleure gestion, préalable nécessaire à la préservation des écosystèmes qu’elles impactent.  

Référence

Alain C. Frantz, Amanda Luttringer, Marc Colyn, Christos Kazilas, Emilie Berlioz "Landscape structure does not hinder the dispersal of an invasive herbivorous mammal in the New Caledonian biodiversity hotspot". Publié dans European Journal of Wildlife Research le 15 décembre 2023.

Contact

Emilie Berlioz
Laboratoire Paléontologie Evolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM, CNRS/Univ. Poitiers)