Comment des trèfles deviennent urbains

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Le réseau international GLobal Urban Evolution (GLUE), établi et coordonné par Marc TJ Johnson à l’Université de Toronto, vient de publier dans Science les résultats d’une étude sur l’adaptation à la vie en ville du trèfle blanc, une plante cosmopolite. Cette étude a été menée en parallèle par plus de 150 équipes dans 160 villes - dont Paris - de 26 pays, sur 6 continents. L’objectif : dégager des tendances générales sur les adaptations des espèces sauvages à la vie urbaine.

Actuellement, l’environnement urbain couvre environ 3 % des terres, plus de la moitié des populations humaines vivent en ville, et cette tendance vers une augmentation des zones urbaines s’accélère. Les écosystèmes urbains diffèrent des zones rurales par plusieurs facteurs abiotiques (tels que l’étanchéité des sols, la température, le taux de CO2 dans l’air, l’humidité, la contamination par des polluants), et biotiques (avec une activité humaine importante, et la simplification et l’homogénéisation des communautés). Déterminer comment les plantes et les animaux s’adaptent aux conditions environnementales urbaines est une question importante pour comprendre les trajectoires évolutives des espèces face aux changements globaux. Mais aborder ces questions d’une façon planétaire et aller au-delà des cas particuliers d’une ville - ou d'une poignée de villes - nécessite des efforts collaboratifs importants.

Sous la coordination de l’équipe de Marc Johnson à Toronto, des scientifiques ont suivi le même protocole, échantillonnant 20 plantes de trèfles blancs dans 40 à 50 sites, le long d’un transect allant du centre de 160 villes vers les zones rurales, soit plus de 110 000 plantes. Pour chaque plante, ils ont testé le phénotype de production de cyanure d’hydrogène, un composé de défense contre des herbivores dont le déterminisme génétique est bien connu chez le trèfle. Le choix de ce caractère se justifie par de précédentes études qui ont montré une plus forte prévalence de génotypes cyanogénétiques là où la pression d’herbivorie est plus forte, les hivers sont moins rudes et le sol plus sec. Si on s’attend à trouver moins d’herbivores mais plus de surfaces étanches dans les villes, l’adaptation du phénotype cyanogénétique aux conditions urbaines s’avère cependant complexe.  En plus de la proportion en plantes cyanogénétiques, chaque site a été caractérisé pour divers paramètres de l’environnement (température, élévation, couvert végétal, couvert neigeux, aire des zones étanches, aridité et potentiel d’évapotranspiration) qui ont été extraits d’images “Landsat”. Un échantillon de plantes des sites les plus urbanisés et des sites les plus ruraux de chaque transect a été séquencé à haut débit.

Bien que les villes soient moins hétérogènes et moins variables entre elles que les environnements ruraux qui les entourent, l’habitat urbain n’est pas totalement homogène du point de vue des caractéristiques environnementales. Globalement, la proportion des plantes cyanogénétiques est moins élevée en ville que dans les populations rurales mais cette réponse varie entre les villes.  Sur les 160 villes étudiées, 62 (39 %) suivent cette tendance significative, 13 villes (8 %) hébergent significativement plus de plantes cyanogénétiques, et pour 85 villes, dont Paris, la tendance n’est pas significative.

Parmi tous les paramètres environnementaux estimés, le potentiel d’évapotranspiration est celui qui explique le mieux les variations observées des proportions de plantes cyanogénétiques et globalement, la sècheresse en interaction avec l’herbivorie opère une sélection en faveur de la cyanogénèse. Grâce aux données de séquençage, l’hypothèse d’une dérive génétique plus forte dans les villes que dans les zones rurales a été rejetée et cela permet de conclure que les différences entre ville et campagne résultent de la sélection naturelle qui s’exerce dans l’habitat urbain à travers une réduction de la pression des herbivores et des conditions plus sèches en ville. Les villes imposent donc de nouvelles pressions de sélection auxquelles les plantes répondent en évoluant souvent d’une façon parallèle et convergente.

transect
Le transect de Paris avec des populations urbaines en bleu, rurales en vert, peri-urbaines en jaune (parcs, jardins de châteaux) et suburbaines en orange (gazon, bords de routes qui ont probablement été perturbés récemment). Un transect similaire a été échantillonné dans 160 villes. © Santangelo et al. - Google My Maps

 

Laboratoire CNRS impliqué

Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS / Université Paris Saclay / AgroParisTech)

Objectifs de développement durable

pictODD

  • Objectif 11 : Villes et communautés durables
  • Objectif 13 : Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique
  • Objectif 15 : Vie terrestre

Cette étude aide à comprendre comment les villes exercent des pressions de sélection sur les espèces sauvages, comment les plantes s’adaptent aux changements globaux et comment la biodiversité en ville peut faire face et répondre aux conditions urbaines.

Référence

Santangelo et al., Global urban environmental change drives adaptation in white clover Science 375, 1275–1281 (2022)

Contact

Jacqui Shykoff
Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS / Université Paris Saclay / AgroParisTech)
Sandrine Fontaine
Correspondante communication : Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE) (CNRS/AgroParisTech/Université Paris Saclay),
Béatrice Albert
Communication - Laboratoire d’Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, AgroParisTech)