Comment le développement des dents des campagnols nous aide à mieux comprendre les mécanismes évolutifs des mammifères
Une nouvelle étude, publiée dans la revue PNAS et menée notamment par des chercheurs du laboratoire LEHNA, montre que l’évolution de la forme des dents des campagnols, façonnée sur des millions d’années, s’explique par un mécanisme étonnamment simple : des modifications du développement embryonnaire qui ne font pas que suivre les changements évolutifs mais les accompagnent et les orientent.
En résumé
- Les molaires des arvicolinés (campagnols, lemmings et rats musqués) sont devenues progressivement plus complexes au cours des six derniers millions d’années.
- Cette évolution reflète leur mode de développement : des molaires plus longues et plus étroites avec de plus en plus de cuspides.
- C’est un exemple clair de la façon dont des variations développementales simples peuvent expliquer des tendances évolutives sur de grandes échelles de temps.
Les arvicolinés, un groupe de rongeurs comprenant les campagnols, les lemmings et les rats musqués, disposent d’un registre fossile remarquablement riche. Au cours des six derniers millions d’années, leurs molaires sont devenues progressivement plus complexes par l’addition de nouvelles cuspides [les reliefs à la surface de la dent qui permettent de broyer les aliments], ressemblant de plus en plus à celles de mammifères herbivores beaucoup plus grands.
Une équipe comprenant des scientifiques du laboratoire d’Écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / École des Travaux publics de l’État / Univ. Claude Bernard Lyon 1) montre que cette évolution a suivi un schéma simple et distinctif, qui reflète la façon dont les embryons de campagnols se développent. La clé réside dans l’accélération de la formation des cuspides au début du développement de la dent, ces dernières étant de plus en plus nombreuses à mesure que la molaire s’allonge et s’affine.
En quelques millions d’années, ce mécanisme a permis de développer des dents plus complexes que presque tous les autres rongeurs. Un atout majeur pour ces animaux, ces dents leur permettant de prospérer dans les steppes glaciaires en se nourrissant d’herbes coriaces. Étonnamment, même si des périodes plus chaudes ont régulièrement succédé aux glaciations – réduisant ainsi l’avantage conféré par de telles dents – les molaires de campagnols n’ont quasiment jamais cessé de devenir plus complexes, suivant la tendance établie par leur mode de croissance particulier.
Ce cas représente un exemple clair de la façon dont les mécanismes développementaux peuvent expliquer des tendances évolutives sur de grandes échelles temporelles. L’évolution n’a pas requis l’apparition de nouvelles instructions génétiques mais s’est appuyée sur des modifications subtiles dans le processus de croissance des dents. Ainsi, le développement biologique ne fait pas que suivre le changement évolutif, il l’accompagne et l’oriente. Cette « poussée » du développement apparaît capable de définir les chemins que l’évolution est plus susceptible de suivre.
Ces travaux contribuent également à une meilleure compréhension de l’évolution des mammifères. Nombre d’entre eux, des primates aux éléphants, ont acquis des molaires de plus en plus complexes au cours de l’évolution, souvent en lien avec des changements de régime alimentaire et environnementaux. Cette étude suggère que l’évolution de leurs dents a pu être contrainte – et guidée – par la façon dont elles se forment.
Les chercheurs ont également identifié les limites que le développement impose à l’évolution des molaires. Si le nombre de cuspides a augmenté rapidement au début de l’évolution des campagnols, les formes les plus complexes ont mis davantage de temps à apparaître. Cela suggère que les mêmes processus développementaux qui permettent l’émergence de nouvelles formes contrôlent également les limites de cette évolution.
Ces travaux montrent l’intérêt d’intégrer à la fois la paléontologie, la phylogénétique et la biologie du développement pour mieux comprendre l’évolution, en établissant ainsi des ponts entre micro- et macro-évolution. Ils mettent non seulement en lumière l’évolution des rongeurs, mais ils ont aussi des implications plus larges sur la façon dont les scientifiques comprennent les mécanismes évolutifs qui façonnent la diversité de la vie sur Terre – un enjeu fondamental à l’heure d’un effondrement sans précédent de la biodiversité planétaire.
Crédit photo bandeau haut de page : © Pexels / Tommes Frites
Laboratoire CNRS impliqué
- Laboratoire d’Écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA-CNRS / École des Travaux publics de l'État / Univ. Claude Bernard Lyon 1)
Référence de la publication :
Lafuma, F., Renvoisé, É., Clavel, J., Corfe, I. J., & Escarguel, G. (2025). Six million years of vole dental evolution shaped by tooth development. Proceedings of the National Academy of Sciences. Publié le 31 juillet 2025