Comment les caractéristiques des oiseaux les prédestinent à devenir victime ou bourreau des invasions biologiques ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les espèces exotiques d'oiseaux envahissantes représentent une menace croissante pour la biodiversité. Leurs impacts écologiques sont de plus en plus documentés : elles peuvent perturber des écosystèmes entiers, bouleverser les services de régulation ou de pollinisation des communautés qu’elles envahissent et même conduire à l’extinction d’autres espèces. De nombreuses études visent à décrire ces impacts, soit selon l’angle des espèces qui envahissent (et comment elles affectent potentiellement les espèces natives), soit selon celui des espèces natives (et comment elles peuvent être affectées par les espèces exotiques). Cependant, il manque aujourd’hui une compréhension claire de la façon dont les deux protagonistes impliqués dans les invasions biologiques - les espèces exotiques et les espèces menacées - sont caractérisés. Une étude publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B par deux chercheuses s'intéresse à cette question. 

Les chercheuses ont d’abord recensé les 850 oiseaux impliqués dans les invasions biologiques dans le monde et les ont séparés en deux groupes de taille équivalente : les oiseaux menacés par les invasions et les oiseaux qui ont une population exotique pouvant causer des dégâts. Elles ont collecté des données liées à leur morphologie comme la taille de leur bec ou de leurs ailes, leur faculté de reproduction et leurs préférences d’habitat et de régime alimentaire. Ensuite, elles ont comparé les caractéristiques des deux groupes d’oiseaux entre eux, afin de déterminer ce qui pouvait conduire à une vulnérabilité aux invasions pour les oiseaux menacés ou bien, à l’inverse pour les oiseaux exotiques, un succès d’invasion.

C’est ainsi qu’elles ont constaté que les deux groupes d’oiseaux présentent des stratégies complètement opposées pour certaines caractéristiques et d’autres plus similaires. Notamment, les oiseaux exotiques présentent des couvées avec un plus grand nombre d’œufs et sont plus susceptibles d’être herbivores que les oiseaux menacés par les invasions, mais aussi que la moyenne des oiseaux du monde entier. En revanche, les oiseaux menacés par les invasions biologiques sont plutôt endémiques des îles et proviennent en moyenne plus de la région Australienne que les oiseaux exotiques, et les oiseaux du monde entier. « Il apparait que le régime alimentaire, la capacité de reproduction et l’origine géographique des oiseaux permettent de distinguer les victimes des espèces performantes dans le contexte des invasions » souligne Clara Marino, doctorante de l’université Paris-Saclay. Autrement dit, les oiseaux exotiques sont de meilleurs reproducteurs, sont plus généralistes au sein de leur aire native que leurs homologues victimes des invasions biologiques.

Les deux chercheuses ont ensuite poussé les analyses au sein des deux groupes d’oiseaux, pour vérifier à quel point les caractéristiques définissant le rôle des oiseaux dans les invasions biologiques pouvait aussi déterminer la force de leur impact au sein des communautés envahies. Des travaux récents de la même équipe (Marino et al., 2022) avaient montré que les espèces très impactées par les invasions avaient des profils écologiques particuliers, qui faisaient d’elles des « victimes idéales ». Elles ont donc étendu ce raisonnement aux espèces exotiques, en se demandant si ces espèces avec de très forts impacts sur les écosystèmes natifs ont un profil différent des espèces exotiques qui ont moins d’impact. « Dresser le portrait des espèces exotiques avec fort potentiel d’impact est un des grands axes de recherche contemporain, car cela permettrait de mieux prédire les conséquences écologiques des nouvelles introductions d’espèces à travers le monde » explique Céline Bellard, chercheuse au CNRS.

Caractérisation des oiseaux impliqués dans les invasions biologiques et de leur impact
Figure adaptée de l’article When origin, reproduction ability and diet define the role of birds in invasions. Ce graphique montre la distribution des oiseaux menacés et des oiseaux exotiques le long des axes de leur espace fonctionnel, qui est un espace défini par les caractéristiques de l’ensemble des oiseaux. On remarque notamment que sur le premier axe (à gauche) les oiseaux exotiques sont en moyenne très différents des oiseaux menacés. Sur le deuxième axe (au milieu), on constate en plus d’une différence entre oiseaux exotiques et menacés que les oiseaux exotiques avec fort impact (en vert) sont différents des oiseaux exotiques à faible impact (en orange).

Elles ont ainsi mis en évidence que les oiseaux exotiques avec un fort impact avaient un comportement encore plus généraliste et un régime alimentaire davantage composé de matière animale que les oiseaux exotiques avec un faible impact. Cela s’explique notamment par le fait que les oiseaux avec un très fort impact sont surtout des prédateurs, qui consomment directement les espèces natives dans les systèmes où ils sont introduits. On peut citer comme exemple le Grand-Duc d’Amérique, un rapace nocturne qui a été introduit intentionnellement sur l’ile de Hiva Oa en Polynésie française pour lutter contre les rats. Cependant, ce rapace a affecté tous les oiseaux natifs de l'île en les préférant comme proies par rapport aux rats.

Photo du Grand-Duc d’Amérique
Photo du Grand-Duc d’Amérique (© by 2.0)

Ces travaux apportent de nouvelles pistes sur l’étude des invasions biologiques en général et sur les méthodes de « profiling » pour mieux prédire le devenir des espèces dans un contexte grandissant d’invasions biologiques. Leur travail offre des perspectives de conservation sur une dimension négligée de la diversité, à savoir les caractéristiques des espèces et leurs stratégies écologiques.

Laboratoires CNRS impliqués

 Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE - Univ. Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech)

Référence de la publication

Marino C, Bellard C. 2023 When origin, reproduction ability and diet define the role of birds in invasions. Proceedings of the Royal Society B 290: 20230196. 

Contact

Clara Marino
Ecologie Systématique Evolution (ESE - Université Paris-Saclay/CNRS/AgroParisTech)
Céline Bellard
Laboratoire Ecologie, Systématique, Evolution (CNRS/Université Paris-Saclay/AgroParisTech)