Comment les requins et raies ont été affectés et ont survécu à la dernière extinction de masse

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

La dernière extinction de masse a eu lieu il y a 66 millions d’années (Ma). Si elle est connue pour avoir mené à la disparition des dinosaures non-aviens, ses conséquences sur la biodiversité marine sont encore mal comprises. Une étude publiée dans la revue Science par deux chercheurs montre, avec une fine résolution, que 62 % des espèces de requins et raies (élasmobranches) ont disparu lors de cette crise. Les raies et les espèces se nourrissant de proies à coquilles ont été plus sévèrement touchées. A l’inverse, les espèces vivant aux hautes latitudes et/ou ayant une large répartition géographique ont eu un taux de survie plus élevé.

cover Science
Couverture de la revue Science

La crise biologique marquant la limite Crétacé-Paléogène (K/Pg) a frappé un grand nombre de clades et a même anéanti plusieurs groupes de vertébrés. Les causes de cette extinction sont encore débattues et il semble que son ampleur a varié selon les groupes, les écologies, et les zones géographiques. Cependant, les estimations des taux d’extinction ont surtout été extrapolées à partir de groupes d'invertébrés marins qui ne reflètent pas la complexité des modalités de cette crise. Les vertébrés marins sont donc susceptibles de fournir de nouvelles informations sur cette extinction en raison de leur position plus élevée dans la chaîne alimentaire. Parmi ces groupes, les élasmobranches (requins et raies) sont un élément important dans les écosystèmes marins au Crétacé et sont représentés par un registre fossile particulièrement abondant.

Afin d'évaluer l'impact de l’extinction K/Pg chez les requins et raies, des chercheurs de l’Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Université de Montpellier) ont utilisé les données du registre fossile : ils ont compilé dans la littérature scientifique les occurrences de chaque espèce fossile (toutes les fois où des fossiles ont été trouvés pour une espèce donnée). Ce travail d’assemblage de données s’est étalé sur plus d’une décennie et représente ~2 600 occurrences pour 675 espèces couvrant une période de ~40 Ma en incluant la crise K/Pg. Le registre fossile étant incomplet, des modèles statistiques ont été utilisés pour considérer les différents biais de préservation, donnant ainsi des âges d’apparition et d’extinction estimés pour chaque espèce.

Leurs résultats, publiés dans la revue Science, indiquent une extinction « brutale » à l’échelle des temps géologiques (étalée sur 800 000 ans) et forte (62 %) des espèces de requins et raies lors de cette crise, et leur diversité n’a pas retrouvé les niveaux précédents, même 10 Ma après la crise. De plus, les analyses indiquent que tous les groupes n’ont pas été égaux face à cette extinction : les raies montrent des taux d’extinction plus forts (72 %) que ceux des requins (59 %). Le caractère sélectif de cette crise est aussi marqué au sein des raies et des requins. Certains groupes de requins encore représentés aujourd’hui (orectolobiformes, lamniformes) ont été plus fortement impactés et des groupes de raies (rajiformes, rhinopristiformes) ont même frôlé l’extinction complète alors qu’ils comptent aujourd’hui plusieurs centaines d’espèces.

Les auteurs se sont également intéressés à l’écologie des espèces touchées par l’extinction en étudiant leurs dents qui représentent la majorité des fossiles retrouvés, et dont la forme renseigne sur leur régime alimentaire. Ils ont découvert que les espèces à dents spécialisées dans un régime alimentaire durophage (se nourrissant de proies dures, comme les coquillages bivalves) ont été plus fortement touchées que les autres. Il est admis que l’extinction de la fin du Crétacé a fortement impacté les premiers maillons des réseaux trophiques marins (plancton) et les organismes dépendant directement de ces derniers (par ex. bivalves). L’étude met ici en avant un phénomène d’évènements en cascade qui a provoqué une énorme perte de diversité des élasmobranches durophages. Les nouveaux résultats suggèrent que cette caractéristique a eu un impact direct sur l’extinction des élasmobranches avec une sélectivité contre les espèces se nourrissant de proies à coquilles.

Enfin, en étudiant la répartition paléogéographique des espèces avant la crise, cette étude dévoile que les espèces ayant une large distribution géographique montrent un taux de survie plus élevé que les autres. Mais ils montrent également que les espèces qui vivaient aux basses latitudes ont été plus fortement touchées, suggérant une sélectivité géographique de cette crise, comme il semble avoir été le cas pour d’autres groupes d’invertébrés (par exemple les bivalves).

Aujourd’hui, les requins et raies sont confrontés à de fortes pressions anthropiques avec un risque élevé d'extinction pour la plupart des espèces. Comprendre comment ce groupe a réagi aux crises biologiques passées aide à identifier les caractéristiques des victimes et des survivants de ces extinctions. Cette étude propose donc un profil-type des victimes de la dernière extinction et fournit des indices importants sur les mécanismes de cette crise.

Sur cette figure sont représentés l'impact de l'extinction de K/Pg sur les requins, les raies et les raies (sélectivité du clade), sur deux groupes de types d'alimentation avec les espèces non-durophages et durophages (sélectivité écologique), et sur la distribution des espèces (sélectivité géographique).
Sur cette figure sont représentés l'impact de l'extinction de K/Pg sur les requins, les raies et les raies (sélectivité du clade), sur deux groupes de types d'alimentation avec les espèces non-durophages et durophages (sélectivité écologique), et sur la distribution des espèces (sélectivité géographique).

 

Laboratoire CNRS impliqué

Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Université de Montpellier)

Référence de la publication

Contact

Fabien Condamine
Chercheur en biologie de l’évolution
Guillaume Guinot
Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Université de Montpellier)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)