Crise d’extinction de la faune et changement climatique il y a 34 millions d’années en France (Quercy, Occitanie)

Résultats scientifiques

A la transition Eocène-Oligocène, il y a environ 34 millions d'années, un important renouvellement faunique a eu lieu en Europe. L’étude des fossiles de mammifères artiodactyles du Quercy (représentés aujourd’hui par les cochons, les ruminants, les camélidés, les hippopotames et les cétacés), permet de mieux comprendre les modalités de cet événement. Cette étude montre que 77 % des espèces endémiques se sont éteintes lors de cet évènement et ont été remplacées par des espèces immigrantes composées de suidés et de ruminants venues d’Asie. L'hypothèse d'une concurrence avec les espèces asiatiques ayant mené à l’extinction des espèces endémiques a longtemps été privilégiée mais est écartée par cette étude. En effet, les changements climatiques s’avèrent être le facteur principal de l’extinction de espèces endémiques. Ces résultats viennent de paraitre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America.

En résumé

  •  L’étude des fossiles de mammifères artiodactyles du Quercy indique que 77 % des espèces se sont éteintes il y a 34 millions d’années à la transition Eocène-Oligocène.
  • Les espèces qui ont disparu étaient endémiques et avaient évolué en contexte insulaire depuis l’isolement de l’Europe occidentale durant l'Eocène il y a 50 millions d’années.
  • A l’Oligocène, les espèces endémiques éteintes ont été remplacées par des espèces immigrantes venues d’Asie qui composent la grande majorité des artiodactyles actuels.
  • La compétition entre espèces endémiques et immigrantes d’Asie ne semble pas être le facteur prépondérant de l’extinction, qui serait fortement liée à des changements climatiques globaux.

Le registre fossile et géologique fournit un aperçu unique sur l'histoire évolutive des espèces et sur la manière dont elles ont réagi aux changements de leur environnement au cours du temps. On estime que 99 % des espèces ayant existé sur Terre sont aujourd'hui éteintes, et comprendre les raisons de leur extinction est donc un sujet central en biologie évolutive et en paléontologie. Après l'extinction massive des dinosaures non aviaires, la transition Éocène-Oligocène (il y a 34 millions d'années) coïncide avec l'un des principaux événements d'extinction des 66 derniers millions d’années. Cette transition correspond à un refroidissement global majeur de la planète, à l’origine de la glaciation antarctique ainsi qu’à une baisse importante du niveau des mers. Au même moment, un important renouvellement de la faune se produit, historiquement connu sous le nom de "Grande Coupure". En Europe occidentale, cet événement est associé à l'extinction d'environ 50 % de la faune des mammifères endémiques et à l'arrivée massive de mammifères modernes en provenance d'Asie. L’Europe, jusqu’alors insulaire, a été reliée à l’Asie à la faveur de la forte baisse du niveau marin et des mouvements tectoniques initiés par la remontée de l’Afrique, permettant ainsi aux mammifères asiatiques d’emprunter ces ponts continentaux.

Lors de la transition Éocène-Oligocène, le refroidissement rapide et global est souvent désigné comme une des principales causes de l’extinction des espèces insulaires européennes. Cependant, des interactions compétitives entre mammifères endémiques et immigrants sont également proposées comme l’un des facteurs responsables. Dans le but de mieux comprendre les modalités de l’extinction et du renouvellement faunique autour de la transition Eocène-Oligocène, Romain Weppe et ses collaborateurs de l’ISEM ont compilé et analysé un ensemble de fossiles de mammifères artiodactyles provenant du sud-ouest de la France (Quercy, Occitanie). Cette zone fossilifère, réputée mondialement pour la préservation et l'abondance exceptionnelle de fossiles qu'elle renferme, a permis aux auteurs de compiler plus de 2 100 occurrences de fossiles d’artiodactyles. En s’appuyant sur des méthodes statistiques prenant en compte l’hétérogénéité spatiale et temporelle du registre fossile, ils ont ainsi pu estimer la diversification régionale et la dynamique de la diversité des artiodactyles endémiques et immigrés (c'est-à-dire les changements des taux de diversification et du nombre d’espèces au cours du temps) autour de la crise climatique de la transition Eocène-Oligocène.

A l’Éocène, les artiodactyles constituent en Europe occidentale un des groupes de mammifères endémiques les plus diversifiés et présentent des caractéristiques écologiques variées (arboricolie, bipédie occasionnelle, amphibiose, insectivorie…). Vers la fin de l’Éocène, la diversité du groupe culmine même à des valeurs de diversité équivalente à celles des plaines africaines d’aujourd’hui. Cependant, ce groupe florissant a connu une extinction dramatique à la transition Eocène-Oligocène. Selon les auteurs, 77 % des espèces d’artiodactyles endémiques se sont éteintes lors de cet évènement, et les niches écologiques libérées ont permis à la faune d’artiodactyles européens modernes de s’installer, principalement composées de suidés et de ruminants. Les résultats réfutent l'hypothèse d'une concurrence entre les espèces endémiques et immigrées, mais suggèrent plutôt que les changements climatiques sont responsables du déclin des artiodactyles endémiques européens, donnant aux espèces immigrées la possibilité de les remplacer. Cet évènement a ainsi permis la diversification des groupes composant les artiodactyles européens tels qu’on les connaît aujourd’hui.

courbe diversité artiodactyles
Figure 1 : Le renouvellement faunique de la Grande Coupure. Le maximum de diversité atteint 22 espèces durant l’Eocène et 5 espèces lors de la Grande Coupure. © Romain Weppe et Maëva Orliac
visuel grotte Weppe
Figure 2 : Cavité karstique des phosphorites du Quercy contenant des sédiments riches en fossiles de mammifères. © Romain Weppe.

 

Référence

Weppe, R., Condamine, F. L., Guinot, G., Maugoust, J., et Orliac, M. J. Drivers of the artiodactyl turnover in insular Western Europe at the Eocene–Oligocene transition. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, publié le 18/12/23.

Laboratoire CNRS impliqué

Institut des Sciences de l'Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/IRD/Univ. Montpellier)

Contact

Romain Weppe
Institut des Sciences de l'Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/IRD/Univ. Montpellier)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)