De la socialité à la longévité, il n’y a qu’un pas… de fourmi !

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les êtres vivants naissent, se développent, vieillissent et meurent selon des vitesses très contrastées entre espèces, mais aussi entre individus d’une même espèce. Parmi les différentes explications, les biologistes ont montré que la place d’un individu dans l’organisation sociale de son groupe module la manière dont il vieillit. Pour mieux comprendre cette corrélation, des scientifiques se sont intéressés au métabolisme de la fourmi noire des jardins (Lasius niger), un insecte dit eusocial (tout groupe est réparti en castes spécialisées, certaines fertiles, d’autres non). Les résultats de leur étude sont à lire dans la revue Cellular and Molecular Life Sciences (CMLS).

L’influence de la position ou du groupe social sur le vieillissement a été démontrée à plusieurs reprises. Des femelles babouins voient leur longévité diminuée jusqu'à 10 ans  dans un contexte social défavorable (p. ex., forte compétition, perte de la mère)1 . Chez la drosophile, avoir des interactions positives avec les autres membres de son groupe ralentit la progression de cancers2 Cependant, les mécanismes moléculaires précis qui relient socialité et vieillissement sont encore mal connus, et les insectes eusociaux (p. ex., termites, fourmis, abeilles) constituent un modèle d’étude de choix. En effet, leurs castes sociales se distinguent non seulement par leur comportement ou leur anatomie (Fig. 1), mais aussi par des vieillissements différents. Chez les fourmis, les reines vivent jusqu'à dix fois plus longtemps que les ouvrières. De manière encore plus surprenante, le vieillissement peut être inversé simplement en changeant le rôle social de l’individu chez l’abeille.

Fig. 1 Exemple de la diversité morphologique chez les insectes eusociaux (ici termites).
Fig. 1 Exemple de la diversité morphologique chez les insectes eusociaux (ici termites).

Les biologistes de l’IPHC et de l’IBMP (CNRS - Université de Strasbourg) ont déterminé le profil moléculaire du vieillissement des castes de fourmis noires des jardins (Fig 2), en passant au crible du spectromètre de masse reines, ouvrières ravitailleuses, et ouvrières domestiques (chargées de l’entretien du nid). Ils ont trouvé que la reine économisait son « patrimoine vieillissement » en réduisant la proportion de molécules liées à l’entretien coûteux du système immunitaire. Cela correspond à un effet inattendu de la division du travail qui a évolué chez les insectes eusociaux, et qui isole la reine de tout contact extérieur y compris les pathogènes. Le profil métabolique favorisant une plus grande longévité chez la reine serait donc une conséquence de ce que l’on nomme l’immunité sociale3 . L’organisation sociale de la colonie permet ainsi à la reine de ne pas investir d’énergie dans l’entièreté des fonctions habituellement nécessaires à la survie.

Fig. 2 Résumé graphique de l’étude. L’analyse au spectromètre de masse a révélé une signature moléculaire propre au rôle social (reine, ravitailleuse, domestique) et ainsi souligné des différences de fonctionnement du métabolisme entre les groupes étudiés.
Fig. 2 Résumé graphique de l’étude. L’analyse au spectromètre de masse a révélé une signature moléculaire propre au rôle social (reine, ravitailleuse, domestique) et ainsi souligné des différences de fonctionnement du métabolisme entre les groupes étudiés.

Par ailleurs, on retrouve chez de plus en plus d’espèces animales (dont l’humain), un lien entre des signaux cellulaires émis selon la quantité de nutriments (donc d’énergie disponible) et la longévité (p. ex., sirtuines, mTOR). Au cours de leur étude, les auteurs ont justement relevé des molécules (p. ex., nicotinamide, glutamate) impliquées dans ces voies de signalisation cellulaires. Les retrouver chez des espèces très éloignées des humains suggèrerait  que ces mécanismes de vieillissement pourraient être universels.

Ces différents éléments montrent à quel point socialité et vieillissement peuvent être liés chez les insectes eusociaux et donc qu’ils constituent d’excellents modèles pour mieux comprendre l’influence de la socialité sur le vieillissement.

  • 1Tung J, Archie EA, Altmann J, Alberts SC. 2016 Cumulative early life adversity predicts longevity in wild baboons. Nat. Commun. 7, 11181. (doi:10.1038/ncomms11181)
  • 2Dawson EH et al. 2018 Social environment mediates cancer progression in Drosophila. Nat. Commun. 9. (doi:10.1038/s41467-018-05737-w)
  • 3Cremer S, Armitage SAO, Schmid-Hempel P. 2007 Social immunity. Curr. Biol. 17, R693–R702. (doi:10.1016/j.cub.2007.06.008)

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Université de Strasbourg)
  • Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP - CNRS/Université de Strasbourg)

Objectifs de développement durable

pictODD

  • Objectif 3 : Bonne santé et bien être

Ce travail souligne les conséquences de l’environnement social sur la physiologie en général et plus particulièrement sur la longévité et la santé. De plus, en mettant en évidence des mécanismes du vieillissement communs à des espèces très éloignées, cette étude suggère des voies à explorer pour de potentielles retombées thérapeutiques.

Référence

Quque M, Villette C, Criscuolo F, Sueur C, Bertile F, Heintz D. 2021 Eusociality is linked to caste-specific differences in metabolism, immune system, and somatic maintenance-related processes in an ant species. Cell. Mol. Life Sci. 79, 29. (doi:10.1007/s00018-021-04024-0)

Contact

Martin Quque
Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Université de Strasbourg)