Des paléoenvironnements à la biologie de la conservation : histoires d’escargots

Résultats scientifiques

Conservées pendant plusieurs dizaines de millénaires dans les sédiments, les coquilles de mollusques continentaux représentent un support d’étude de choix pour reconstituer les environnements passés. Une collaboration franco-germano-espagnole a permis l’étude inédite de plus de 90 000 coquilles fossiles d’escargots. Ces résultats, publiés dans Journal of Molluscan Studies apportent un nouvel éclairage sur les paysages andalous d’il y a 10 000 ans et fournissent des éléments cruciaux pour protéger les espèces d’escargots les plus fragiles aujourd’hui.

En Espagne, les dépôts de sédiments d’âge holocène (i.e. les dix derniers millénaires) sont très répandus, et bien qu'ils aient été largement étudiés par les géologues et archéologues depuis plusieurs décennies, leur contenu en coquilles de mollusques reste souvent délaissé. Et pourtant, les escargots fossiles offrent une opportunité unique pour étudier les environnements passés à différentes échelles spatiales et temporelles.

Dans le cadre d'une collaboration franco-germano-espagnole réunissant des géologues et des malacologues (spécialistes des mollusques), de très riches couches fossilifères du Geopark Unesco de Grenade (Andalousie, Espagne) ont fait l’objet d’une étude multidisciplinaire qui a révélé un corpus de 53 espèces d’escargots représentant un total de plus de 90 000 coquilles. L’analyse des coquilles a permis de reconstituer l’évolution de la vallée de Galera au cours des derniers 10 000 ans. 

Entre 10 000 et 9 000 ans avant aujourd’hui, les faunes d’escargots indiquent une forte activité fluviale, le cours d’eau se divise en plusieurs chenaux qui occupent tout le fond de vallée. Aux alentours de 8 000 ans, les flux se concentrent et une végétation riche, caractéristique des milieux humides, se met en place. Cette dynamique se poursuit jusqu’à environ 5 900. Durant cette période particulièrement humide, les conditions environnementales sont favorables à la colonisation d’espèces écologiquement exigeantes vivant uniquement dans les zones de marais. À partir de 5 900 ans, les coquilles collectées montrent les premiers indices de la diminution de la zone humide tandis que des habitats avoisinants plus secs se développent. Les faunes collectées dans les couches âgées de 3 000 à 300 ans, sont des escargots xérophiles typiques des biotopes secs et ouverts et indiquent des conditions environnementales beaucoup plus arides.

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Prélèvements des échantillons de sédiments dans les couches fossilifères holocènes de Galera en vue d’être analysés en laboratoire. ©Limondin-Lozouet

Dans le bassin méditerranéen occidental, les archives sédimentaires holocènes témoignent d'une variabilité spatiale et temporelle de la réponse des écosystèmes continentaux aux changements environnementaux et climatiques. La reconstitution paléoenvironnementale déduite des coquilles d’escargots apporte des éléments de discussion à l’échelle locale mais aussi à l’échelle régionale dans la mesure où les tendances enregistrées à Galera sont cohérentes avec les études existantes sur des sites voisins.

La comparaison entre l’évolution de la diversité des espèces fossiles et la situation actuelle des mollusques continentaux du sud de l’Espagne est un élément fondamental de notre approche. Aujourd’hui dans le sud de l’Espagne, bon nombre des escargots inféodés aux zones humides ont une aire de répartition disjointe qui témoigne de populations fragmentées car leurs habitats sont de plus en plus menacés par la forte anthropisation des milieux. Le recul temporel fourni par l’étude des mollusques fossiles de Galera ouvre une fenêtre d’observation sur la biodiversité antérieure à l’aridification progressive des environnements méditerranéens et avant un impact anthropique qui a profondément modifié les écosystèmes. Dans ces circonstances, nos résultats fournissent des données de référence pour déterminer la variabilité naturelle des écosystèmes et leur réponse aux changements environnementaux, des données pour caractériser l'évolution de la distribution des espèces et des arguments fiables pour guider les choix de conservation des mollusques continentaux.

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©Des centaines de coquilles fossiles d’Orcullela aragonica, une espèce endémique du sud de l’Espagne et aujourd’hui en danger critique d’extinction. Echelle : 5 mm. ©Wackenheim

 

Laboratoire CNRS impliqué

  • Laboratoire de Géographie Physique (LGP - CNRS / Université Pantheon - Sorbonne / UPEC)

Référence

Wackenheim, Q., Richter C., Limondin-Lozouet N., Wolf D., García-Tortosa F. J., Marzin E., Hofmann L., Faust D., Dabkowski, J., 2023. Holocene molluscan successions from south-eastern Spain (Galera, Andalusia): from a palaeoenvironmental framework to a palaeobiogeographic resource of the Granada UNESCO Geopark. Journal of Molluscan studies, 89(1): 1–32.

Contact

Agnès Gauthier
Correspondante communication - Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP – CNRS / Université Panthéon Sorbonne / Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne)