Dresser le portrait des espèces menacées par les invasions biologiques : qu’est-ce qui en fait d’elles des victimes ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les espèces exotiques envahissantes représentent une menace croissante pour la biodiversité et constituent la première cause d’extinction des vertébrés terrestres insulaires. Depuis plusieurs décennies, les recherches s’attachent à définir les éléments qui expliquent leur succès, mais très peu de travaux s’intéressent aux profils des espèces qu’elles menacent. Forte de ce constat, une équipe de chercheuses a étudié les caractéristiques de 6015  espèces insulaires (amphibiens, oiseaux, lézards et mammifères), afin de comprendre ce qui les rend particulièrement vulnérables aux invasions biologiques. Les résultats de ces recherches sont publiés dans la revue Global Change Biology.

Une forte diversité de fonctions menacées

L’équipe de chercheuses a collecté les données sur la présence de ces espèces dans les milieux insulaires ainsi que six traits écologiques liés à leurs régimes alimentaires, à leurs modes de reproduction ou encore à l’occupation de leurs habitats.  Ces caractéristiques (taille, régime alimentaire, lieu de vie, etc.) rendent compte des fonctions qu’occupent ces animaux vertébrés terrestres au sein des communautés, et du rôle qu’ils jouent dans les écosystèmes. Par exemple, un oiseau qui se nourrit de fruits remplit une fonction de dispersion des graines, processus essentiel pour le maintien d’une forêt diversifiée. En analysant les profils de plus de 6000 espèces de mammifères, oiseaux, amphibiens et lézards vivant sur les îles, les chercheuses ont montré que les espèces menacées par les invasions biologiques réalisent des fonctions spécifiques au sein des écosystèmes et une grande part de diversité risque de disparaître. Si l’étude confirme le fait que les invasions biologiques constituent une forte menace sur la biodiversité insulaire, elle met en lumière deux autres éléments : non seulement le nombre d’espèces menacées par les invasions est grand, mais la variété des caractéristiques et des fonctions que ces espèces représentent au sein de toutes les espèces insulaires endémiques est lui aussi important. Ainsi, près de 50 % de la richesse fonctionnelle des amphibiens est représentée par des espèces menacées par les invasions biologiques et environ 29 % pour les oiseaux. Des chiffres qui montrent l’importance prépondérante de la menace des invasions biologiques pour la diversité des espèces insulaires.

Des caractéristiques associées à la menace des invasions biologiques

Les espèces menacées d’extinction comportent des caractéristiques qui les rendent vulnérables aux pressions anthropiques - par exemple, celles restreintes à un seul type d’habitat, comme la forêt ou les mares, sont en danger si ces habitats disparaissent. Les résultats de cette étude confirment le fait que les espèces envahissantes menacent aussi les espèces spécialistes (en termes d’habitat et de régime alimentaire) et les espèces de grande taille en général. Mais le portrait des espèces victimes des invasions biologiques ne s’arrête pas là. Pour comprendre ce qui rend ces espèces sensibles aux invasions en particulier, il faut regarder leurs différences avec les espèces menacées par d’autres facteurs anthropiques. En comparant les espèces menacées par les invasions biologiques avec les espèces menacées par d’autres pressions, l’équipe a mis en évidence des caractéristiques spécifiques à la menace des invasions. Pour les oiseaux, lézards et mammifères vulnérables aux invasions, cela se traduit par exemple par leur mode de vie préférentiellement au niveau du sol. Le régime alimentaire est aussi lié à la vulnérabilité aux invasions, les oiseaux menacés par les espèces envahissantes se nourrissant principalement d’invertébrés alors que ce n’est pas le cas des oiseaux menacés en général. Le kiwi, oiseau endémique de Nouvelle-Zélande, est un bon exemple d’espèce vulnérable aux invasions : il vit au sol, ne vole pas, consomme des insectes et se trouve en danger d’extinction à cause de la prédation par les mammifères envahissants (chat, chien, etc.).

Amphibiens et lézards : peu étudiés mais déjà en danger

L’étude souligne également qu’une extinction des amphibiens et des lézards, deux groupes jusqu’alors peu étudiés à grande échelle sur ce type de problématique, conduirait à la perte de certaines fonctionnalités dans les écosystèmes. Il manque encore beaucoup de données sur ces espèces, moins étudiées que les oiseaux ou les mammifères. Pourtant, la diversité de profils menacés par les invasions dans ces deux groupes est particulièrement élevée. Ainsi, cette étude est la première à mettre en évidence la fragilité des amphibiens qui ont un stade larvaire face aux invasions biologiques. 

tortue geante
Chelonoidis darwini est une espèce de tortues géantes dont l'habitat a été particulièrement dégradé par l'introduction de chèvres. Suite à l’éradication des chèvres, une végétation non-native s'est installée sur l'île, rendant l'habitat des tortues encore plus défavorable. Les introductions d'espèces exotiques sont ainsi responsables de la dégradation des conditions de vie de nombreuses espèces de vertébrés terrestres endémiques. (© Peter C.H. Pritchard) https://www.iucnredlist.org/species/9020/82689845
amphibien okianawa
Odorrana narina est une espèce d'amphibiens endémique des îles Okinawa au Japon. Elle est actuellement classée vulnérable dans la liste rouge de l'UICN car elle est prédatée par la mangouste indienne, une espèce exotique envahissante sur ces îles. (© Shawn M Miller) https://www.iucnredlist.org/species/58675/177217981

 

Laboratoire CNRS impliqué dans cette étude

Écologie, systématique et évolution (ESE – Univ. Paris-Saclay / CNRS / AgroParisTech)

Objectifs de développement durable

pictODD

  • Objectif 15 - Vie terrestre

En publiant ces résultats dans le journal Global Change Biology, les chercheuses alertent sur la nécessité de prendre en compte, en plus du nombre d’espèces menacées par les invasions biologiques, les caractéristiques qui les rendent vulnérables afin d’envisager des mesures de conservation efficaces.

Référence

Marino, C., Leclerc, C., & Bellard, C. (2021). Profiling insular vertebrates prone to biological invasions: What makes them vulnerable? Global Change Biology, 00, 1–14.

Contact

Céline Bellard
Laboratoire Ecologie, Systématique, Evolution (CNRS/Université Paris-Saclay/AgroParisTech)
Clara Marino
Ecologie Systématique Evolution (ESE - Université Paris-Saclay/CNRS/AgroParisTech)
Camille Leclerc
Unité Risques, ECOsystèmes, Vulnérabilité, Environnement, Résilience Unité Risques, ECOsystèmes, Vulnérabilité, Environnement, Résilience (INRAE/Aix-Marseille Université)
Sandrine Fontaine
Correspondante communication : Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE) (CNRS/AgroParisTech/Université Paris Saclay),
Béatrice Albert
Communication - Laboratoire d’Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, AgroParisTech)