La dette climatique des tortues marines se creuse pendant que le monde se réchauffe
Quelle est la vulnérabilité des sites de pontes de tortues marines face au réchauffement climatique ? Une étude publiée dans la revue Ecological Indicators impliquant des chercheurs du Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution d’Orsay (CNRS/AgroParisTech/Université Paris Saclay) et de quatre autres pays (États-Unis d’Amérique, Turquie, Afrique du Sud et Brésil) montre, au moyen de modèles de développement embryonnaire et de phénologie des pontes chez la tortue Caouanne, que la majorité des populations risque de faire face à une chute du succès d’incubation des œufs et de produire près de 100% de nouveau-nés femelles.
De manière générale, les espèces ont trois options pour s’adapter à des changements environnementaux. Elles peuvent se déplacer dans l’espace (i.e., en changeant d’aire distribution), dans le temps (i.e., en décalant leur phénologie) ou en se modifiant elles-mêmes (e.g., adaptation génétique).
Chez les tortues marines, la première option ne les aidera probablement pas à court terme car elles sont connues pour revenir pondre sur la plage où elles sont nées et sont très fidèles à leurs sites de pontes, bien que certaines tortues aient été observées certaines années allant pondre des centaines de kilomètres loin de leur plage favorite.
L’évolution de la température pivot (i.e., la température d’incubation à laquelle les deux sexes sont attendus en proportions équilibrées) ne devrait pas pouvoir se produire sur une courte période car ces reptiles vivent très longtemps et arrivent à maturité sexuelle tardivement, ce qui ralentit le processus d’adaptation par sélection naturelle.
Des changements de comportements maternels, par exemple en creusant des nids plus profonds ou en choisissant des zones plus ombragées, pourraient s’avérer efficaces. Cependant, les tortues marines ne peuvent pas déposer leurs œufs à des profondeurs plus importantes que leur propre taille.
Dans une telle situation, venir pondre plus tôt dans la saison (i.e., en modifiant sa phénologie) pourrait être la dernière option restante.
La « dette climatique » est un concept qui vise à calculer la différence entre la vitesse du changement climatique et la réponse d’une population, d’une espèce ou d’une communauté d’espèces. En d’autres termes, c’est une mesure de la vitesse, ou de l’efficacité, à laquelle les organismes vivants suivent le changement du climat pour rester dans des conditions environnementales favorables.
Une étude publiée dans la revue Ecological Indicators impliquant des chercheurs du Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution d’Orsay (CNRS/AgroParisTech/Université Paris Saclay) et de quatre autres pays (États-Unis d’Amérique, Turquie, Afrique du Sud et Brésil montre que chez les tortues Caouannes, le timing des pontes dépend de la température que les femelles adultes ressentent dans leur environnement. En moyenne, une augmentation de 1°C décale de 7 jours plus tôt la saison de ponte. Par conséquent, la saison de ponte sera avancée de 14 jours si la température augmente de 2°C. Est-ce qu’un tel changement de phénologie est assez rapide pour pallier l’impact d’une augmentation de température sur le sexe des nouveau-nés ? Les chercheurs ont montré que la réponse dépend de la population et de la magnitude du changement de température.
Parmi sept populations de tortues Caouannes, les chercheurs prédisent qu’une seule sera capable de contrer efficacement une augmentation de 1,19°C de la température de la mer et de 2,12°C de la température de l’air d’ici la fin du siècle (scénario RCP4.5 de l’IPCC). Quant aux six autres populations, elles verront leur dette climatique augmenter.
Dans le cas du scénario le plus extrême (RCP8.5), les sept populations auront une dette climatique, ne parvenant pas à suivre la vitesse du réchauffement. La population venant pondre en Turquie sera seulement capable d’atténuer l’impact d’un tel réchauffement en produisant toujours quelques nouveau-nés mâles tandis que les six autres populations (réparties aux États-Unis, au Brésil et en Afrique du Sud) ne produiront que des femelles et devront faire face, dans tous les cas, à une chute du succès d’incubation des œufs.
Ces résultats suggèrent qu’un grand nombre de populations de tortues Caouannes ne seraient pas capable de contrer le changement du climat en modifiant uniquement leur phénologie. Maintenant, cette question reste encore à explorer pour les six autres espèces de tortues marines.
Référence :
Monsinjon, J.R., Wyneken, J., Rusenko, K., López-Mendilaharsu, M., Lara, P., Santos, A., dei Marcovaldi, M.A.G., Fuentes, M.M.P.B., Kaska, Y., Tucek, J., Nel, R., Williams, K.L., LeBlanc, A.-M., Rostal, D., Guillon, J.-M. & Girondot, M. (2019) The climatic debt of loggerhead sea turtle populations in a warming world. Ecological Indicators, doi.org/10.1016/j.ecolind.2019.105657