La diversification des plantes à fleur a mené les conifères au déclin pendant les refroidissements climatiques

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Par effet de compétition pour les ressources, il est communément accepté que la radiation explosive des plantes à fleurs (angiospermes), entre 125 et 80 millions d’années (Crétacé), a eu un impact négatif sur la diversité d’autres groupes de plantes comme les gymnospermes (conifères, cycas, ginkgos). Une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA par des scientifiques de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS/EPHE/IRD/Université de Montpellier) montre que la diversité des conifères est fortement et directement liée à la diversité croissante des plantes à fleurs depuis le Crétacé, attestant ainsi du rôle de la compétition entre plantes.

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Sur la photo, un thuya géant, appelé Cèdre rouge de l’Ouest (Thuja plicata), est une espèce de conifère de la famille des Cupressaceae endémique du nord-ouest de l'Amérique du Nord. Avec l'autorisation de Fabien L. Condamine (CNRS, Université de Montpellier)

Comprendre comment la compétition pour les ressources peut réguler l'apparition et l'extinction des espèces et peut entraîner l'augmentation ou le déclin de groupes entiers représente un objectif majeur de l'écologie et la biologie de l'évolution. Ceci est particulièrement difficile à étudier car chaque groupe suit des trajectoires de diversité différentes à travers le temps, qui sont déterminées par différents régimes de spéciation et d'extinction.

Deux modèles de remplacement biologique sont reconnus dans le registre fossile : le modèle à « double tranchant », dans lequel un clade décline tandis que l'autre prospère (ex. les brachiopodes et les bivalves), et le modèle d'extinction massive, impliquant un événement d'extinction qui anéantit un groupe tout en permettant à un autre de se diversifier (ex. les dinosaures et les mammifères). Lorsque deux groupes d'organismes occupent des habitats similaires et que la diversité à long terme de l'un augmente progressivement tandis que celle de l'autre diminue, on peut naturellement conclure qu'une interaction négative (compétition) a eu lieu entre les deux. Cependant, un tel patron de diversité peut résulter de réponses opposées à des changements physiques ou d’interactions différentielles entre les groupes.

Un exemple de compétition, possible, entre groupes sur une longue période de temps concerne le déclin des gymnospermes (1100 espèces) et la diversification rapide des angiospermes (∼300 000 espèces) depuis le Crétacé. En raison de la domination actuelle, on pense généralement que les angiospermes ont remplacé les gymnospermes. Dans cette étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, les chercheurs de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS/EPHE/IRD/Université de Montpellier) ont étudié les conifères regroupant 615 à 630 espèces actuelles comme les araucarias, cèdres, cyprès, épicéas, genévriers, ifs, pins, ou thuyas.

Pour évaluer l'hypothèse largement répandue selon laquelle la radiation des angiospermes aurait entraîné le déclin des gymnospermes (ici approximé par les conifères), les processus de diversification des conifères ont été estimés grâce à des approches utilisant les phylogénies moléculaires datées et les données paléontologiques. Des modèles estimant la spéciation et l'extinction ont alors été utilisés pour corroborer les résultats entre ces deux types de données et palier aux difficultés générales que pose l'estimation des taux de diversification, notamment d’extinction.

À l'aide de ces données couvrant l’histoire des conifères (350 millions d'années), la dynamique de diversification des conifères se caractérise par de faibles taux de diversification tout au long de leur histoire, mais est ponctuée par des impulsions de spéciation pendant les événements de réchauffement. Le résultat le plus important est que l'extinction des conifères a drastiquement augmenté au Crétacé moyen (100 à 110 millions d'années) et est restée élevée depuis. Dans le Cénozoïque, 66 derniers millions d’années, les conifères sont en déclin dû au fait qu’il y a eu plus d’extinction que d’apparition d’espèces.

Des analyses complémentaires ont été réalisées pour tenter de comprendre les causes de ce long déclin. Afin d'élucider l'impact relatif de la diversité des angiospermes et du changement climatique (variations de température et de carbone atmosphérique) sur la diversification des conifères, les chercheurs ont utilisé d’autres modèles qui intègrent explicitement les effets supposés des facteurs abiotiques (climat) et biotiques (diversité relative des angiospermes) comme moteurs possibles de la diversification.

Les modèles incluant les phylogénies ou le registre fossile estiment que le taux d'extinction des conifères est lié à la diversité des angiospermes si bien que l’extinction augmente quand les angiospermes augmentent. Ces modèles expliquent mieux la diversification que des modèles avec le climat, bien que les refroidissements climatiques favorisent aussi l’extinction. Ainsi les résultats soutiennent l'hypothèse d'un remplacement actif des conifères, impliquant que la compétition directe avec les angiospermes a augmenté l'extinction des conifères pendant la radiation des angiospermes vers une dominance écologique et évolutive et ceci dans une période de refroidissement global.

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Sur cette figure sont présentés en (A) la dynamique de diversification des conifères à l'échelle mondiale, montrant à la fois le ralentissement du taux de spéciation et l’augmentation de l’extinction au cours du temps, résultant en un taux de diversification négatif dans le Cénozoïque, entraînant donc un déclin des conifères ; en (B) la diversité relative des plantes à fleurs (angiospermes) au cours du temps, suggérant une radiation rapide dans le Crétacé et le Cénozoïque ; et en (C) le modèle de diversification qui explique le mieux la spéciation et l’extinction des conifères, avec un taux d’extinction dépendant positivement de la radiation des angiospermes. Dans ce modèle, le déclin des conifères est donc expliqué par l’augmentation de la diversité relative des plantes à fleurs, suggérant ainsi un fort rôle de la compétition entre ces groupes. Figure par Fabien L. Condamine (CNRS, Université de Montpellier)

Depuis le Cénozoïque, les angiospermes ont dominé les écosystèmes terrestres à l'échelle mondiale, en termes de dynamique de diversification, d'occupation géographique à l'exception des régions boréales, et d'innovations écologiques ou physiologiques. Des études antérieures ont suggéré que les angiospermes pourraient avoir supplanté les gymnospermes en raison d'avantages tels qu'une stratégie de croissance rapide, des systèmes de reproduction variés telle que la pollinisation par les insectes, de nouveaux systèmes de défense chimique et la tolérance au stress climatique. Ces avantages ont probablement donné aux angiospermes un avantage concurrentiel sur les conifères à partir du Crétacé supérieur, ce qui a finalement conduit à leur déclin.

L’étude d'un ancien groupe de plantes et relativement pauvre en espèces approfondit notre compréhension de la manière dont la diversité est régulée dans le temps et en relation avec de multiples facteurs externes. Grâce à des modèles écologiques de macroévolution, des données phylogénétiques et fossiles, cette étude apporte un solide soutien à une hypothèse largement répandue de compétition entre clades à travers le temps. Cette étude illustre comment des branches entières de l'arbre de la vie peuvent se concurrencer activement pour la dominance écologique dans des conditions climatiques changeantes. Un tel cadre méthodologique pourrait mettre en lumière des interactions biotiques à long terme pour de nombreux autres groupes.

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Sur la photo, une colonie de pin colonnaire (Araucaria columnaris), est une espèce de conifère de la famille des Araucariaceae endémique de Nouvelle-Calédonie. Avec l'autorisation de Fabien L. Condamine (CNRS, Université de Montpellier).

 

Référence

Condamine F.L., Silvestro D., Koppelhus E.B. & Antonelli A. (2020) The rise of angiosperms pushed conifers to decline during global cooling. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA

Contact

Fabien L. Condamine
Chercheur CNRS - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)