La grande oxygénation de l’atmosphère terrestre revisitée (INSU)

Résultats scientifiques

Pour comprendre quand, comment et à quelle vitesse l’oxygène est devenu un composant de notre atmosphère entre environ 2,5 et 2,2 milliards d’années, une équipe internationale1 a étudié la systématique des quatre isotopes du soufre dans plus de 700 mètres de dépôts sédimentaires australiens. Les résultats obtenus montrent que l’oxygénation de la planète a commencé bien plus tôt que traditionnellement admis et que son enregistrement n’a pas été synchrone d’un continent à l’autre (Australie, Afrique du Sud, Amérique du Nord) mais étalé dans le temps sur presque 300 millions d’années. Ce décalage apparent reflète un effet local lié à l’altération en conditions oxydantes de surfaces continentales plus anciennes.

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Corrélation temporelle des séquences sédimentaires associées au GOE d’Australie, d’Amérique du Nord et d’Afrique du Sud. Le modèle d’oxygénation proposé (noté GOE*, Australie) est indiqué comme un intervalle d’environ 300 Ma. L’intervalle noté GOE en Afrique du Sud correspond au modèle classique, dans lequel l’oxygénation de l’atmosphère est considéré comme rapide (1 à 10 Ma) et globalement synchrone à environ 2,32 Ga sur l’ensemble du globe. Les segments rouges et bleus à droite des colonnes stratigraphiques représentent la composition isotopique en soufre des pyrites sédimentaires. MIF = Fractionnement indépendant de la masse. MDF = Fractionnement dépendant de la masse.

En l’absence d’oxygène dans l’atmosphère, la photolyse UV de dioxyde de soufre (SO2) libéré par l’activité volcanique se traduit par la production de composés soufrés caractérisés par des fractionnements isotopiques très particulier dits indépendant de la masse (noté, MIF-S). En se dissolvant dans l’océan, ces composés soufrés transfèrent cette anomalies isotopiques au registre sédimentaire lors de leur précipitation sous forme de pyrite, par exemple. En présence d’oxygène atmosphérique, ces fractionnements isotopiques particuliers disparaissent. La grande oxygénation de l’atmosphère terrestre (Great Oxidation Event, GOE) entre 2,5 et 2,2 milliards d’années (Ga) a été définie comme l'intervalle de temps pendant lequel une quantité suffisante d'oxygène atmosphérique était présent pour empêcher la production et le transfert de ces anomalies isotopiques dans le registre sédimentaire. La disparition de ces anomalies isotopiques dans des sédiments d’Afrique du Sud sur quelques mètres d’épaisseur de sédiments, a conduit des études précédentes à proposer que l’augmentation de l’oxygène dans l’atmosphère a été rapide (moins de 10 millions d’années, Ma) et globalement synchrone à environ 2,32 Ga sur l’ensemble du globe. Cependant, comme illustré dans la figure, la présence d’importantes lacunes sédimentaires dans les séquences d’Afrique du Sud implique que ce modèle d’oxygénation reste mal contraint.

Afin de mieux contraindre les mécanismes, l’amplitude et la durée du GOE, nous avons réalisé une campagne de forages dans le bassin du Hamersley en Australie occidentale afin de pouvoir étudier un échantillonnage représentatif qui recoupe la période entre 2,5 et 2,2 Ga associée au GOE. La séquence sédimentaire étudiée est le groupe du Turee Creek, laquelle, à la différence de ses équivalents d’Afrique du Sud et d’Amérique du Nord, ne présente pas de discontinuité sédimentaire majeure.

L’analyse des isotopes du soufre à haute résolution stratigraphique montre un signal MIF-S relativement homogène et de faible amplitude (1± 0.5 ‰) sur l’ensemble des carottes. Ce signal est ponctué de plusieurs intervalles sédimentaires dans lesquels les sulfures ne présentent pas d’anomalies MIF-S. La présence d’épisodes de dépôt sans MIF-S impliquent que des quantités non négligeables d’oxygène étaient présentes dans l’atmosphère dès 2,45 Ga. Le signal MIF-S de l’ordre de 1‰ représente la moyenne des anomalies isotopiques mesurées dans les sulfures de la période archéenne (4,0 à 2,5 Ga) antérieure au GOE.

L’enregistrement d’une telle anomalie sur plus de 700 mètre de carottes de forage ne peut s’expliquer par un processus atmosphérique, mais résulte vraisemblablement de l’altération en conditions oxydantes de surfaces continentales plus anciennes (archéennes) et le recyclage d’un réservoir de sulfate de composition isotopique homogène de l’ordre de 1 ‰ dans l’océan. Ce modèle permet d’expliquer que l’enregistrement MIF-S dans les sédiments d'Afrique du Sud, d'Amérique du Nord et d'Australie ne soit pas synchrone car dépendant des surfaces d’altération locales. Ces résultats impliquent que le paradigme actuel de définir le GOE à 2,33-2,32 Ga en se basant sur la dernière occurrence de MIF-S en Afrique du Sud doit être abandonné.

Cette étude a été financée par le Labex UnivEarths de l’Université Sorbonne Paris Cité (ANR-10-LABX-0023 and ANR-11-IDEX-0005-02).

Note :

  1. Les laboratoires et organismes impliqués sont les suivants : Institut de physique du globe de Paris (IPGP / CNRS / Université Paris Diderot) et Géosciences Montpellier (Géosciences Montpellier/OREME, Université de Montpellier / / CNRS / Université Antilles), Research School of Earth Sciences (Australian National University, Australie), Laboratoire géosciences océan (LGO/IUEM, CNRS / UBO / UBS), John de Laeter Centre for Isotope Research (Curtin University, Australie), Biogéosciences (EPHE / Université de Bourgogne Franche-Comté / CNRS) et School of Biological, Earth and Environmental Sciences (University of New South Wales, Australie)

Références :
Globally asynchronous sulphur isotope signals require re-definition of the Great Oxidation Event, Philippot, P., Ávila, J., Killingsworth, B., Tessalina, S., Baton, F., Caquineau, T., Muller, E., Pecoits, E., Cartigny, P., Lalonde, S., Ireland, T., Thomazo, C., Van Kranendonk, M.J. and Busigny, V., Nature Communications, DOI: 10.1038/s41467-018-04621-x, 8 juin 2018

Contact chercheur

Pascal Philippot
Institut de physique du globe de Paris (IPGP - CNRS/Université Paris Diderot) et Géosciences Montpellier (CNRS / Université de Montpellier / Université des Antilles)
04 67 14 36 43 |  pascal.philippot@umontpellier.fr