La loutre d’Europe signe un spectaculaire retour en France

Résultats scientifiques

Après avoir frôlé l’extinction au cours du XXe siècle, la loutre d’Europe (Lutra lutra) reconquiert peu à peu les rivières françaises. Grâce à un important travail de collecte et de modélisation de données mené par une équipe de recherche française, une carte inédite de l’expansion de l’espèce sur les quinze dernières années vient d’être établie. Cette étude, parue dans la revue Biological Conservation, révèle non seulement une progression régulière de la loutre sur le territoire national, mais aussi la reconnexion de noyaux de population historiquement isolés. 

En résumé

  • La loutre d’Europe recolonise la France : la surface occupée augmente de 40 % entre 2009 et 2023.
  • Trois noyaux de population historiques se reconnectent et s’étendent, formant un front de colonisation actif.
  • Une intégration inédite de données scientifiques et citoyennes a été effectuée pour suivre finement la recolonisation.

Après plusieurs décennies de déclin dû à la chasse, la disparition des habitats humides et la pollution des eaux de surface, la loutre a disparu de la quasi-totalité du territoire français durant la première moitié du XXe siècle. Dans les années 1980, l’espèce devient protégée en France et sa chasse est interdite. Seules quelques populations subsistent alors sur la façade atlantique et dans le Massif central. Depuis 2009, ces trois noyaux se sont peu à peu étendus, jusqu’à se rejoindre dans une vaste continuité géographique. Les loutres colonisent aujourd’hui de nouvelles régions, comme la Bourgogne, les massifs montagneux ou les rivières proches de la Méditerranée. Une bonne nouvelle pour ce petit carnivore charismatique, discret et aujourd’hui encore menacé.

Pour parvenir à ces résultats, une équipe de chercheurs du Centre d’Écologie Fonctionnelle & Évolutive (CEFE - CNRS/EPHE/IRD/Univ Montpellier) et du Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE - CNRS/Univ Lyon 1/VetAgro Sup) et leurs collègues ont mobilisé une quantité exceptionnelle de données : plus de 40 000 observations de traces et d’empreintes (en particulier les déjections de la loutre, qui s'avèrent facilement reconnaissables par leur aspect caractéristique et leur odeur de miel), issues à la fois de suivis standardisés et de signalements opportunistes réalisés par des bénévoles, naturalistes et gestionnaires d’espaces naturels. Ces données très hétérogènes ont été combinées à l’aide d’un modèle statistique innovant adapté aux espèces discrètes et difficiles à détecter, capable de prendre en compte les biais d’observation et les préférences écologiques de l’espèce, telles que la qualité des berges ou la présence de poissons.

Au fil de sa recolonisation, la loutre montre une remarquable capacité d’adaptation à des habitats variés, au-delà de ses bastions traditionnels isolés des installations humaines et riches en ressources. Cette plasticité écologique laisse espérer une installation durable de l’espèce, à condition que ses habitats restent protégés et connectés. Car si la carte montre une continuité géographique, rien ne garantit encore un brassage génétique suffisant entre les populations, parfois encore isolées par les routes, les barrages ou l’urbanisation.

Ce travail illustre également l’importance de la science participative : sans les milliers de données collectées par des observateurs bénévoles, il aurait été impossible de suivre cette recolonisation à l’échelle nationale. Cette étude fournit une méthode reproductible pour suivre d’autres espèces discrètes ou en expansion, à l’heure où la biodiversité fait face à des bouleversements rapides.

carte
Progression de la distribution de la loutre d’Europe en France entre 2009 et 2023. La probabilité de présence de la loutre est indiquée avec un gradient allant du blanc (0%) au brun foncé (100%). Les lignes fines et épaisses indiquent les zones dans lesquelles la probabilité de présence est supérieure à 33% et 66%, respectivement. Les zones grisées représentent les zones dans lesquelles la distribution n'a pas pu être estimée par manque de données. Ainsi, l'absence de données sur le pourtour méditerranéen et dans les Pyrénées en 2023 n'est pas représentative de la distribution réelle de l'espèce.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Centre d’Écologie Fonctionnelle & Évolutive (CEFE - CNRS/EPHE/IRD/Univ Montpellier)
  • Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE - CNRS/Univ Lyon 1/VetAgro Sup)

 

Référence de la publication

Lacombe, S., Devillard, S., Kauffmann, C., Aznar, M., Dupuis, O., Fournier-Chambrillon, C., Isère-Laoué, E., Fraissard, C., Fuento, N., Heugas, T., Martin, A., Perrin, M., Roche, A., Ruys, T., Simonnet, F., Thomas, B., Souriau-Villeger, A., & Gimenez, O. (2025). Range expansion and reconnection of historical populations in the Eurasian otter (Lutra lutra) in France : Insights from heterogeneous data and integrated species distribution modelling. Biological Conservation. Publié le 30 avril 2025. 

Contact

Olivier Gimenez
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ. Montpellier/EPHE/IRD/Univ. Paul Valéry Montpellier 3)