La perte de l’odorat chez les petits mammifères amphibies

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une étude internationale dirigée par Quentin Martinez et Pierre-Henri Fabre de l’Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM – CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier) a démontré de nombreuses pertes indépendantes (ou convergentes) des facultés olfactives chez les petits mammifères amphibies. S’il est bien connu que les facultés olfactives sont extrêmement réduites chez les mammifères aquatiques (vivant uniquement dans l’eau) tels que les cétacés ou les lamantins, ces connaissances sont limitées chez la multitude de petits mammifères amphibies (ceux qui vivent partiellement dans l’eau). Ces travaux font l’objet d’un article dans la revue PNAS en mars 2020.

Comptant des animaux emblématiques comme les desmans, les musaraignes aquatiques ou les castors, ces mammifères amphibies sont très diversifiés avec de multiples lignées de rongeurs, de musaraignes, de tenrecs et de taupes amphibies. Ils constituent donc un modèle idéal pour tester cette hypothèse de convergence évolutive.

L’acquisition indépendante d’un caractère dans des lignées phylogénétiquement distantes (= espèces non directement apparentées) est nommée convergence. C’est par exemple le cas de l’adaptation au vol entre les oiseaux et les chauves-souris, deux lignées de vertébrés non directement apparentées.

La cavité nasale des mammifères (dont les humains) renferme des rouleaux osseux, nommés turbinaux qui participent à la captation des odeurs. Grâce à une technologie avancée basée sur des scanners à rayons x, les chercheurs montpelliérains ont étudié les capacités olfactives de près de 200 espèces de ces petits mammifères. Le résultat majeur de cette étude est d’avoir mis en évidence la réduction des capacités olfactives de manière convergente dans pas moins de 17 lignées distinctes de petits mammifères amphibies. La convergence n’est pas un phénomène rare mais un tel degré de similitude pour autant de lignées,  a rarement été observé. Ces résultats, publiés dans la revue américaine PNAS permettent ainsi de faire avancer la vision du concept de convergence.

L’explication de la réduction des capacités olfactives de manière convergente pourrait venir d’une contrainte physique. En effet, sentir n’est réalisable qu’en inspirant une molécule volatile (« l’odeur »), or dans l’eau ce processus est compliqué (mais pas impossible !). Ainsi les espèces amphibies se sont adaptées et utilisent d’autres sens pour détecter leurs proies tel que le toucher à l’aide de vibrisses, la vision grâce à des yeux modifiés ou encore l’électro-réception grâce à des organes spécifiques.

En étudiant d’autres structures de la cavité nasale, les chercheurs se sont également rendus compte que tous les petits mammifères amphibies avaient de très bonnes capacités à conserver leur température. Cela pourrait être une adaptation à leur mode de vie. En effet, dû à la forte inertie thermique de l’eau, les organismes perdent davantage de chaleur dans l’eau que dans le milieu terrestre.

Financée par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS - PEPS), cette étude longue de trois ans a demandé aux chercheurs de visiter les collections zoologiques de nombreux muséums d’histoire naturelle européens et américains afin d’y étudier la plupart des espèces de petits mammifères amphibies du monde. Uniquement basée sur des spécimens de muséums, cette étude montre à nouveau l’importance des collections et des muséums pour l’amélioration de nos connaissances sur le vivant et sur la protection de la biodiversité.

Musaraigne aquatique (Neomys fodiens)
Musaraigne aquatique (Neomys fodiens) plongeant sous l’eau pour capturer de petits invertébrés. Cette musaraigne est une des espèces qui a perdu une partie de son odorat. Tous droits réservés © Rudmer Zwerver (www.creativenature.nl). Image NON libre de droits. Reproductions autorisées par l’auteur uniquement sur les sites web faisant la promotion de l’article scientifique. © Rudmer Zwerver
Le chercheur Pierre-Henri Fabre, auteur de l’article, s’apprêtant à scanner un crâne de rongeur
Le chercheur Pierre-Henri Fabre, auteur de l’article, s’apprêtant à scanner un crâne de rongeur afin d’étudier sa cavité nasale et ses capacités olfactives. © Quentin Martinez
Le chercheur Quentin Martinez, auteur de l’article, inspectant un campagnol terrestre
Le chercheur Quentin Martinez, auteur de l’article, inspectant un campagnol terrestre (Arvicola amphibius). En comparaison des espèces amphibies, ce campagnol terrestre a de bonnes capacités olfactives. © Quentin Martinez
Crânes de rongeurs dans un scanner à rayons X
Crânes de rongeurs dans un scanner à rayons X (au Muséum d'Histoire Naturelle de Londres - NHMUK) utilisé pour étudier la cavité nasale et les capacités olfactives des mammifères.
Crânes de rongeurs dans un scanner à rayons X
Crânes de rongeurs dans un scanner à rayons X (au Muséum d'Histoire Naturelle de Londres - NHMUK) utilisé pour étudier la cavité nasale et les capacités olfactives des mammifères.
Un ragondin (Myocastor coypus) plongeant sous l’eau.
Un ragondin (Myocastor coypus) plongeant sous l’eau. Le ragondin est une espèce de rongeur amphibie qui s’est adaptée à son milieu et qui a des capacités olfactives réduites. © Quentin Martinez et Cécile Molinier.

 

Référence

Martinez, Q., J. Clavel, J. A. Esselstyn, A. S. Achmadi, C. Grohé, N. Pirot, and P.-H. Fabre. 2020. Convergent evolution of olfactory and thermoregulatory capacities in small amphibious mammals. Proc. Natl. Acad. Sci.

Contact

Quentin Martinez
Institut des Sciences de l’Evolution (ISEM - CNRS / IRD / Univ. Montpellier / EPHE)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)