L’ADN environnemental, une solution innovante pour étudier la biodiversité des canopées tropicales
Une équipe de chercheurs du CRBE propose, dans la revue Science Advances, une nouvelle méthode pour étudier la biodiversité des canopées tropicales, difficilement accessibles : l’analyse de l'eau de pluie, qui contient des traces d’ADN environnemental laissées par les organismes vivants. Peu coûteuse et non-invasive, cette approche ouvre des perspectives inédites pour le suivi de la biodiversité et l'évaluation des impacts anthropiques sur ces écosystèmes.
En résumé
- Une approche innovante, non-invasive et peu coûteuse pour étudier la biodiversité des canopées tropicales, souvent inaccessibles.
- L’approche détecte un niveau de diversité et des taxons (plantes, vertébrés, insectes) en cohérence avec le niveau de perturbation des milieux.
- La détection s’intègre sur 2 à 3 semaines, avec un signal localisé, adapté à une surveillance environnementale précise.
Dans les forêts tropicales humides, la canopée forme une couche supérieure dense et feuillue abritant une biodiversité exceptionnelle, encore largement méconnue. Son exploration reste difficile en raison de son inaccessibilité, des coûts élevés engendrés par les méthodes d'échantillonnage traditionnelles et des risques de perturbations de cet environnement fragile. Ces contraintes ont longtemps limité la capacité à étudier efficacement les impacts des activités humaines sur ces écosystèmes vitaux. Bien que l’ADN environnemental (ADNe) ait déjà été utilisé pour étudier une variété d’écosystèmes, son usage dans les canopées tropicales s'avère inédit.
Une équipe de chercheurs du Centre de recherche sur la biodiversité et l'environnement (CRBE –CNRS /Université de Toulouse / Toulouse INP / IRD) a testé l’hypothèse selon laquelle l'ADN libéré naturellement par les organismes (par mue, dans les excrétions, etc.) se fixe sur les surfaces végétales avant d’être entraîné par l'eau de pluie à travers la canopée. Pendant un mois, cette eau a été collectée dans une forêt amazonienne mature ainsi que dans une plantation d’hévéa et de bois de rose en Guyane, à l’aide de parapluies équipés de capteurs passifs d’ADNe. Les scientifiques ont caractérisé la fenêtre spatio-temporelle couverte par ce dispositif : l'ADNe de pluie persiste jusqu’à 29 jours, avec une diversité maximale détectée une dizaine de jours après l'installation des collecteurs. Le signal étant très localisé (moins de dix mètres), il fournit des inventaires temporellement intégrés tout en minimisant la contamination croisée.
L’analyse a permis de détecter un large éventail d’arbres, d’épiphytes1 , de mammifères et d’autres vertébrés, ainsi que de nombreux insectes. La composition et la diversité taxonomique2 reflètent le niveau de perturbation forestière. Ainsi, les données collectées en forêt mature montrent que la diversité y est plus riche et dominée par des taxons typiques, tandis qu'au sein de la plantation, elle est plus faible, avec une prédominance d’espèces cultivées ou associées aux milieux ouverts. Ces résultats confirment la validité de la méthode et son potentiel en biosurveillance.
L’ADNe de pluie représente un outil efficace pour documenter les taxons mal connus et soutenir la conservation. Sa capacité à détecter les variations de diversité liées aux perturbations démontre son utilité pour la recherche et certaines applications pratiques, telles que l’évaluation forestière et le suivi de restauration. Cette approche non-invasive, économique et à grande échelle constitue une avancée majeure pour protéger la biodiversité cachée des canopées tropicales.
Crédit photo bandeau haut de page : © Claude DELHAYE/CNRS Images
Interview de Lucie Zinger & Amaia Iribar : comment inventorier la diversité aérienne avec l'ADNe ?
Lucie Zinger, maitresse de conférence ENS, détachée CNRS et Amaia Iribar, ingénieure de recherche CNRS, nous partagent les résultats de l'étude parue dans la revue Science Advances.
Audiodescription
Laboratoire CNRS impliqués
- Centre de Recherche sur la Biodiversité et l’Environnement (CRBE- CNRS/ Université de Toulouse / Toulouse INP / IRD)
- Ecologie des forêts de Guyane (ECOFOG - CNRS / Université des Antilles / Université de Guyane / AgroParisTech / Inra / Cirad)
- Laboratoire d’écologie alpine (LECA - CNRS / Université Savoie Mont Blanc / Université Grenoble Alpes)
- Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - Sorbonne U/CNRS/MNHN/EPHE)
- Centre d’Écologie Fonctionnelle & Évolutive (CEFE - CNRS/EPHE/IRD/Univ Montpellier)
- Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (LEHNA - CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1)
Référence de la publication
Zinger, L., Benoiston, A., Cuenot, Y., Leroy, C., Louisanna, E., Moreau, L., Petitclerc, F., Piatscheck, F., Orivel, J., Richard-Hansen, C., Hansen-Chaffard, L., Suescun, U., Troispoux, V., Boyer, F., Chave, J., Decaëns, T., Fouquet, A., Pansu, J., Raynaud, J.,. . . Iribar, A. (2025). Elusive tropical forest canopy diversity revealed through environmental DNA contained in rainwater. Science Advances.