Le changement climatique influence la contamination par le mercure chez les oiseaux marins de l’Arctique
Grâce à un suivi sur plus de 20 ans, des chercheurs français et norvégiens ont étudié la façon dont les changements climatiques impactent la santé des oiseaux marins du Spitzberg. Ils se sont plus particulièrement penchés sur la contamination au mercure, élément d’origine naturelle transporté sur de longues distances via l’atmosphère, l’océan et les fleuves. Les résultats de ces travaux publiés dans la revue Environmental Science and Technology révèlent que les changements climatiques entraînent des modifications des communautés de poissons chassés par les oiseaux, faisant d’eux de réels bioindicateurs pour le suivi des contaminants.
Le mercure est un élément trace d’origine naturelle (éruptions volcaniques) et anthropique (combustion d’énergie fossile, exploitation minière). Stimulée par les transports atmosphériques, océaniques et fluviales à longue distance, la contamination par le mercure est une préoccupation majeure pour l'Arctique. En effet, hautement toxique, le mercure impacte la physiologie et la reproduction de la faune de cette région. Par ailleurs, l’Arctique se réchauffe deux à trois fois plus vite que toute autre région de la planète, avec des conséquences sur la couverture neigeuse, le pergélisol, l'étendue de la banquise. Ces changements entraînent des modifications majeures des flux biogéochimiques, des réseaux trophiques et par la même, pourraient potentiellement modifier la biodisponibilité du mercure. Cependant, les effets du changement climatique sur la contamination de la faune sauvage par le mercure restent mal connus.
Des chercheurs français et norvégiens ont publié dans la revue Environmental Science and Technology une étude à long terme montrant comment le changement climatique pouvait influencer les concentrations de mercure chez des oiseaux marins du Spitzberg (Arctique Norvégien). Ce suivi, mené pendant 20 ans avec le soutien de l’institut Polaire Paul Emile Victor (IPEV), montre que les niveaux sanguins de mercure chez les mouettes tridactyles ont, dans un premier temps, diminué de 3 % par an de 2000 à 2013. Mais depuis, la tendance s’inverse, et les niveaux sanguins de mercure augmentent de 11 % par an depuis 2014. Comment expliquer un tel phénomène ? Parmi neuf indicateurs connus pour influencer la biodisponibilité du mercure dans l’océan, deux se démarquent comme de fiables prédicteurs des concentrations de mercure chez les mouettes. Ces deux paramètres, sont les concentrations en chlorophylle a dans les eaux de surface, qui reflètent la production primaire dans le milieu marin, ainsi que l’étendue de la banquise. L’étude met en lumière le rôle essentiel de la production primaire, qui associée à d’autres facteurs abiotique ou non, va attirer des communautés de poissons différentes et affecter la contamination de leurs prédateurs.
Au début des années 2000, les concentrations élevées de mercure étaient probablement liées à une plus grande proportion de poissons strictement arctiques consommés par les mouettes (e.g. morue polaire). L'apport progressif de poissons subarctiques moins contaminés (e.g. capelans) dans le régime alimentaire des oiseaux aurait alors entraîné une diminution des concentrations de mercure jusqu'en 2013. Puis, l’arrivée de poissons plus contaminés en provenance de l’Atlantique (harengs, juvéniles de cabillaud), associée à une remobilisation du mercure dans l'océan en réponse à un retrait plus prononcé de la banquise, pourraient expliquer la récente augmentation de la contamination par le mercure.
Cette étude suggère donc qu’en réponse au changement climatique, le retrait de la banquise et une productivité primaire plus importante entraînent une « Atlantification » de l’océan Arctique et impacte la contamination des oiseaux marins par le mercure, via des changements dans les communautés de poissons-proies. Ce travail souligne l’intérêt majeur des oiseaux marins comme bioindicateurs pour le suivi des contaminants. De tels suivis à long-terme sont essentiels pour mesurer l’efficacité des mesures de régulation de la pollution, et pour la compréhension des interactions complexes entre changements climatiques et contamination des écosystèmes polaires.
Laboratoires CNRS impliqués
- Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS / La Rochelle Université)
- Littoral Environnement et Sociétés (LIENSs - CNRS / La Rochelle Université)
- Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols (METIS - CNRS / EPHE / Sorbonne Université)
Objectifs de développement durable
- 14 : Vie aquatique
- 15 : Vie terrestre
Référence
A U-turn for mercury concentrations over 20 years: how do environmental conditions affect exposure in Arctic seabirds? Tartu, S., Blévin, P., Bustamante, P., Angelier, F., Bech, C., Bustnes, J.O., Chierici, M., Fransson, A., Gabrielsen G.W., Goutte A., Moe, B., Sauser, C., Sire, J., Barbraud, C., and Chastel, O. 2022. Environmental Science & Technology. DOI: 10.1021/acs.est.1c07633