Le microbiome océanique: un trésor pour la découverte d’enzymes et de molécules bioactives

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une nouvelle étude publiée dans Nature par une équipe internationale de chercheurs impliquant l’ETH Zürich, l’ICM Barcelona, l’EMBL, le CEA et le CNRS, dont le consortium Tara Oceans, révèle la diversité génomique du microbiome océanique ainsi que son potentiel pour la synthèse de composés biochimiques encore inconnus. En particulier, les chercheurs ont identifié une nouvelle famille de bactéries marines dont le code génétique pourrait conduire à de nombreuses applications biotechnologiques.

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Le séquençage de l’ADN du microbiome océanique révèle un trésor de nouvelles enzymes et molécules bioactives. © Helena Klein (illuzation), ZHdK.

L’océan est le plus grand habitat sur notre planète, couvrant 71 % de sa surface. Chaque goutte d’eau contient des milliers de cellules microbiennes qui, ensemble, forment le microbiome océanique. Cet écosystème complexe est le moteur des cycles biogéochimiques sur Terre et la base de nombreuses chaînes alimentaires globales. Grâce à de multiples missions d’exploration, comme les expéditions Tara Oceans, nous avons aujourd'hui accès au matériel génétique d’échantillons récoltés à travers le globe. Cependant, plus de deux-tiers de ces données de séquençage ADN des communautés microbiennes marines (métagénomes) ne peuvent pas être associées à des génomes d’espèces connues. Cette biodiversité largement inexplorée est une source probable de nombreux composés biochimiques nouveaux avec des applications potentielles dans les domaines des biotechnologies et de la médecine.

En se basant sur les résultats de Tara Océans ainsi que sur d’autres projets internationaux (Les expéditions Malaspina et Biogeotraces, les séries temporelles d’Hawaii et des Bermudes), une équipe de scientifiques a analysé les métagénomes de plus de 1 000 échantillons d’eau de mer couvrant tous les océans.

En utilisant des méthodes computationnelles dernier cri, les chercheurs ont pu reconstruire 26 293 génomes microbiens et ont révélé des milliers de nouvelles espèces. Ils ont intégré ces derniers à des génomes déjà publiés pour construire l'Ocean Microbiomics Database (OMD), qui représente 40 à 60 % des données métagénomiques collectées en pleine mer.

L’exploration de cette ressource génomique a révélé plus de 40 000 clusters de gènes biosynthétiques (BGCs), des groupes de gènes encodant les voies de synthèses de composés biochimiques. Ces BGCs ont pu être groupés en 7 000 familles, la moitié desquelles sont prédites comme étant nouvelles. En plus de leurs fonctions écologiques cruciales, beaucoup de ces composés (aussi appelés métabolites spécialisés) sont probablement importants d’un point de vue biotechnologique ou médical.

En étudiant la distribution de ces voies de synthèses, les chercheurs ont découvert une nouvelle lignée de bactéries avec un nombre et une diversité particulièrement élevés de BGCs. Cette famille bactérienne a donc été nommée après Eudora, la Néréide (nymphe océanique) des cadeaux précieux dans la mythologie grecque. Pour explorer ses promesses, l’équipe a analysé expérimentalement deux de ces BGCs et a effectivement caractérisé de nouvelles enzymes biosynthétiques et composés naturels. La première voie de synthèse, appelée phospeptin, produit un peptide qui inhibe les protéases, fournissant un nouveau châssis chimique pour le potentiel développement de thérapeutiques. La seconde voie de synthèse, appelée pythonamide, produit un nouveau peptide, particulièrement long et complexe ainsi qu’une nouvelle famille d'enzymes capable de catalyser l’addition de groupement méthyl sur la colonne vertébrale des protéines - une réaction très difficile qui pourrait être particulièrement utile dans le cas de certaines applications biotechnologiques.

Ce travail fournit une vision sans précédent des microbes à travers les océans du monde ainsi que leurs capacités biosynthétiques. Cette compilation représente un atlas pour guider les recherches futures, que ce soit dans les domaines de l’écologie marine, l’évolution, les biotechnologies ou les produits naturels. En combinant des méthodes computationnelles et moléculaires, l’équipe a pu identifier les fonctions de séquences génétiques provenant de microbes appartenant à des lignées inconnues et dont aucun membre n’a été cultivé jusqu’à présent. 

Cependant, les chercheurs n’ont caractérisé que deux voies de synthèses parmi des milliers. Une immensité de composés biochimiques et d’enzymes biosynthétiques reste donc à découvrir et l’OMD est en accès libre (https://microbiomics.io/ocean/) en tant que ressource pour la communauté scientifique. Les chercheurs invitent donc les scientifiques du monde entier à les joindre dans leur exploration de la diversité microbienne marine pour dévoiler de nouvelles enzymes, voies de synthèses et métabolites spécialisés, et élucider leurs fonctions écologiques ainsi que leurs potentielles applications.

Cette étude vient également s’inscrire dans la Décennie des Nations Unies pour les Sciences Océaniques en étudiant le potentiel du microbiome océanique pour la bioprospection et montrant la nécessité d'en apprendre davantage à son sujet. Un article, dirigé par Tara Océans, a été publié simultanément dans la revue Nature Microbiology (https://www.nature.com/articles/s41564-022-01145-5) et reprend ces points de manière plus générale en décrivant les priorités de la recherche sur le microbiome océanique pour les années à venir.

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Illustration en trois dimensions de la molécule bioactive phospeptin. © Helena Klein (illuzation), ZHdK.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Global Oceans Systems Ecology & Evolution (GO-SEE - AMU / CNRS / CEA / Ecole Centrale de Nantes / ENS / EPHE / EMBL / Fondation Tara Océan / IRD / Inserm / Nantes Université / Sorbonne Université / Université Australe du Chili / Université d’Evry Val d’Essonne / UPVD / Université de Toulon / UGA / UPSL / Université Paris-Saclay) 
  • Institut de biologie de l'Ecole Normale Supérieure (IBENS - CNRS / INSERM / ENS)
  • Génomique Métabolique (GM - CEA / CNRS / Université d'Evry-Val-d'Essonne

Objectifs de Développement durable

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  • Objectif 3 : Bonne Santé et Bien-être
  • Objectif 14: Vie Aquatique

Ce projet contribue à améliorer notre connaissance de la vie microbienne dans les océans et la découverte de nouvelles voies de biosynthèse, enzymes et molécules bioactives ouvre les portes à des applications dans le domaine de la santé.

Référence

Paoli L, Ruscheweyh HJ, Forneris CC, Hubrich F, Kautsar S, Bhushan A, Lotti A, Clayssen Q, Salazar G, Milanese A, Carlström CI, Papadopoulou C, Gehrig D, Karasikov M, Mustafa H, Larralde M, Carroll LM, Sánchez P, Zayed AA, Cronin DR, Acinas SG, Bork P, Bowler C, Delmont TO, Gasol JM, Gossert AD, Kahles A, Sullivan MB, Wincker P, Zeller G, Robinson SL, Piel J, Sunagawa S. Biosynthetic potential of the global ocean microbiome. Nature. 2022 Jun 22. doi: 10.1038/s41586-022-04862-3. Epub ahead of print. PMID: 35732736.

Contact

Lucas Paoli
Department of Biology, Institute of Microbiology and Swiss Institute of Bioinformatics, ETH Zurich, Switzerland