Le succès reproducteur des oiseaux de mer révèle l’impact des changements globaux sur les écosystèmes marins

Résultats scientifiques

Le climat et l’intensité des activités humaines changent à un rythme sans précédent, mais quelles sont les réponses des écosystèmes marins à ces changements et diffèrent-elles entre hémisphères ? Une étude internationale publiée dans la revue Science avec des chercheurs du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC - CNRS / La Rochelle Université) montre, au moyen de suivis à long terme, que chez les oiseaux marins les variations du nombre de jeunes produits par femelle suivent les différences du réchauffement des océans et des impacts des activités humaines, les effets les plus forts étant observés sur les espèces piscivores de l’hémisphère Nord. 

Les environnements et les systèmes biologiques de la Terre changent à un rythme sans précédent. Les différences dans les réponses des écosystèmes marins aux influences anthropiques entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud constituent une propriété émergente sous-estimée du changement global. Dans l'hémisphère nord, on suppose que le changement des écosystèmes est plus prononcé car l'homme y exploite les ressources marines à des niveaux industriels depuis de plus longues périodes. De surcroît, les masses continentales y sont plus importantes et peuvent amplifier le réchauffement. En revanche, les vastes domaines océaniques de l'hémisphère sud sont supposés atténuer plus efficacement les effets des émissions de gaz à effet de serre sur les températures océaniques. L'éloignement des écosystèmes marins de l’hémisphère sud a également limité pendant longtemps leur exploitation par les humains.

Une étude publiée dans la revue Science impliquant des chercheurs du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CNRS/La Rochelle Université) et de 9 autres pays (Etats-Unis, Australie, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Nouvelle Zélande, Norvège, Allemagne, Mexique, Japon) a, dans un premier temps, validé l’hypothèse de différences entre les deux hémisphères dans les impacts du changement climatique sur la partie supérieure de l'océan, avec une vitesse de réchauffement et des vagues de chaleur plus importantes dans l’hémisphère nord. L’étude confirme également que les impacts des activités humaines sur les écosystèmes marins sont plus importants dans l'hémisphère nord, mais se sont amplifiés plus rapidement dans l'hémisphère sud au cours de la période 2003-2013.

Les scientifiques ont ensuite testé l’hypothèse que le succès reproducteur des oiseaux marins suit cette asymétrie hémisphérique de réchauffement de l’océan et des activités humaines. En effet, le succès reproducteur des oiseaux marins, c'est-à-dire le nombre de jeunes produits par femelle par an, constitue une métrique permettant d’évaluer les changements ayant lieu dans les écosystèmes marins, par ailleurs extrêmement difficiles à mesurer. Pendant la reproduction, les oiseaux de mer nourrissent leur progéniture avec une grande variété de proies allant des copépodes aux petits poissons pélagiques. Ils fournissent ainsi une réponse intégrée des écosystèmes au changement climatique à tous les niveaux trophiques. Ainsi, la reproduction des oiseaux marins reflète les réponses numériques non linéaires à la disponibilité du mésozooplancton et des petits poissons dans la zone épipélagique. De plus, la reproduction des oiseaux de mer, qui se reproduisent en colonies et s'alimentent en mer pendant la reproduction, peut être particulièrement vulnérable aux changements océaniques car les sites de reproduction sont statiques dans l'espace alors que la disponibilité des ressources alimentaires est dynamique dans l'espace et dans le temps.

En utilisant 122 séries temporelles mesurant le succès reproducteur de 66 espèces d’oiseaux marins (soit 20 % du nombre total d’espèces d’oiseaux marins) couvrant la période 1964-2018, et en catégorisant les oiseaux marins selon leur régime alimentaire principal (planctonophage, omnivore, piscivore), les scientifiques ont montré que les tendances temporelles du succès reproducteur suivaient les changements asymétriques des océans, et qu’elles différaient selon le régime alimentaire des oiseaux. Le succès reproducteur des espèces omnivores, dont beaucoup se nourrissent de petits poissons pélagiques, a subi les changements les plus importants dans les deux hémisphères, avec des diminutions à un rythme 3.6 fois plus important dans le Nord que dans le Sud. Le succès reproducteur des piscivores a diminué dans le Nord mais a augmenté dans le Sud. En revanche, les planctonophages ont montré une augmentation de la productivité dans le Nord et une productivité stable dans le Sud. Globalement, la probabilité d'échec de la reproduction a augmenté pour les piscivores dans les deux hémisphères et pour les omnivores dans l’hémisphère nord.

Les différences entre hémisphères misent en évidence dans cette étude suggèrent la nécessité d'une gestion des océans à l'échelle de l'hémisphérique. Au nord, des plans de rétablissement des ressources en poissons fourrages, fondés sur le climat, sont nécessaires pour rétablir la bonne reproduction des oiseaux de mer et à terme le maintien de leurs populations. Dans le sud, les changements de moindre ampleur dans la reproduction des oiseaux de mer offrent des opportunités pour des approches stratégiques de gestion écosystémique spatialisée, telles que des grandes aires marines protégées, pour maintenir l’intégrité des écosystèmes marins, la productivité et les populations de prédateurs marins.

Les résultats de cette étude suggèrent que les variations de la reproduction des oiseaux de mer permettent de détecter les changements des écosystèmes marins liés à la variation du réchauffement des océans et de leurs utilisations par les humains. Cela souligne également la nécessité de maintenir des programmes de surveillance à long terme des oiseaux marins (dont certains sont menacés ou d’ores et déjà arrêtés), illustre le rôle essentiel que jouent les oiseaux marins en tant que sentinelles des changements marins à l’échelle mondiale, et met en évidence la nécessité de mettre en place des politiques publiques visant à réduire les impacts du changement climatique et des pressions humaines sur les écosystèmes marins de la planète.

 les sites suivis (points blancs) et quatre des espèces d’oiseaux marins étudiées
Figure montrant, en haut le taux de réchauffement des surfaces océaniques, les sites suivis (points blancs) et quatre des espèces d’oiseaux marins étudiées ; en bas les tendances moyennes (valeurs modélisées ± erreur standard) du succès reproducteur (nombre de jeunes produits par femelle par an) des oiseaux marins selon leur régime alimentaire (planctonophage, omnivore, piscivore) et l’hémisphère. Les lignes pointillées montrent la tendance de chaque série temporelle.

 

Référence

Sydeman, W. J., Schoeman, D. S., Thompson, S. A., Hoover, B. A., García-Reyes, M., Daunt, F., Agnew, P., Anker-Nilssen, T., Barbraud, C., Barrett, R., Becker, P., Bell, E., Boersma, P. D., Bouwhuis, S., Cannell, B., Crawford, R. J. M., Dann, P., Delord, K., Elliott, G., Erikstad, K. E., Flint, B., Furness, R., Harris, M., Hatch, S., Hilwig, K., Hinke, J., Jahncke, J., Mills, J., Reiertsen, T. K., Renner, H., Sherley, R., Surman, C., Taylor, G., Thayer J. A., Trathan, P., Velarde, E., Walker, K., Wanless, S., Warzybok, P. & Watanuki, Y. 2021. Hemispheric asymmetry in ocean change and the productivity of marine ecosystem sentinels. Science.

Contact

Christophe Barbraud
Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC - CNRS / La Rochelle Université)
Cécile Ribout
Correspondante communication - Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/La Rochelle Université)