Le volcan qui frappa l’Europe : l’éruption du Laki (1783-1784)

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Depuis l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll au printemps 2010, on sait que le volcanisme est une menace potentielle pour l’ensemble de l’Europe. Afin de se préparer à une telle catastrophe, il est nécessaire de tirer parti d’événements plus anciens pour mieux anticiper les risques de pollution et de perturbations météorologiques. Des chercheurs de différentes disciplines (géochimistes, historiens, météorologues et climatologues) et pays (France, Norvège, Chine) ont ainsi étudié le volcan islandais Laki, entré en éruption en 1783. L’étude, publiée dans la revue Nature Communications, s’intéresse à la mortalité induite par les particules fines émises lors des nombreuses éruptions qui l’affectèrent. Grâce à des archives européennes exceptionnelles et en recourant à des modèles mathématiques de transport chimique aérien, elle permet de mieux comprendre l’impact sanitaire d’une pollution par des particules dans une perspective contemporaine. La recherche conclut qu’une partie seulement de la surmortalité de l’été fut imputable à la pollution volcanique et qu’elle fut aggravée par d’autres facteurs comme la météorologie et le mauvais état sanitaire des populations de l’époque.

C’est cet événement dramatique qui a poussé une équipe interdisciplinaire et internationale d’historiens, de climatologues, de météorologues et de géochimistes des laboratoires Chrono-Environnement (UMR 6249 CNRS, Université de Besançon), Sciences du Climat et de l’Environnement (UMR 8212 CEA-CNRS-UVSQ-UP Saclay), Laboratoire de Météorologie Dynamique (UMR 8539 ENS-X-UPMC), Météo-France (DClim/DEC), Norwegian Institute for Air Research (NILU) et l’Université de Fudan de Shangaï à le reconstruire sur le plan météorologique.
Le 8 juin 1783, la terre s’ouvre dans la région de Sida (Sud de l’Islande) sur une longueur de 25 kilomètres, formant une fissure de 130 cratères dont l’activité se maintiendra jusqu’en février 1784. Dans l’île, l’impact du Laki est désastreux. Environ 21% de la population meurt de famine dans l’année ainsi que 80% du cheptel ovin, 50% des bovins et 50% des chevaux à cause de la fluorose dentaire ou osseuse provenant des 8 millions de tonnes d’acide fluorhydrique rejetés ! En deux jours seulement, le Laki libère autant de gaz que toute l’industrie européenne en un an et en quelques heures, il donne naissance à un vaste nuage de pluie acide qui s’abat sur les côtes méridionales de l’Islande puis sur l’Europe et sur une partie de l’hémisphère nord. A la différence de l’Eyjafjöll au printemps 2010, le Laki projeta les trois quarts de ses gaz dans la couche inférieure de l’atmosphère (la troposphère), où circulent justement les pluies, les nuages et les vents de surface. Les spécialistes estiment aujourd’hui que près de 122 millions de tonnes de dioxyde sulfurique furent émis dans l’atmosphère, soit l’équivalent du Pinatubo tous les trois jours. En temps normal, les vents dominants auraient dû pousser ce nuage toxique vers le nord, en direction du cercle polaire malheureusement, ce ne fut pas le cas en ce mois de juin…

Les sources historiques de l’époque procurent pléthores d’informations sur l’événement qui fut observé un peu partout en Europe et ailleurs. Parmi elles figurent en bonne place les observations des sociétés scientifiques européennes comme la Société royale de médecine de Paris, l’Académie royale des sciences ou encore la Societas meteorologica palatina de Mannheim dont les réseaux de correspondants s’étendaient à l’Europe, mais également au Moyen Orient et à l’Amérique du nord. Couplés à d’autres archives comme les registres paroissiaux et les journaux privés d’aristocrates ou de bourgeois, ces documents ont rendu possible l’étude de l’impact du phénomène naturel. Ils montrent que l’été 1783 fut particulièrement anormal. Un peu partout, les témoins de l’époque citent, à partir de mi-juin, la présence d’un épais brouillard sec à l’odeur « d’œuf pourri » ou de soufre et évoquent une visibilité extrêmement limitée qui persiste parfois jusqu’au mois de septembre. Conséquence de ce brouillard, la température de surface est en moyenne de 1 à 3° C supérieure à la moyenne de 1970-2000. Par ailleurs, l’étude met en lumière l’itinéraire du nuage chargé en dioxyde de soufre en acide sulfurique à travers l’Europe en recourant à la méthode des analogues. Elle révèle enfin le lien entre la concentration de S02 et de SO4 dans l’air et le pic de mortalité observé dans les registres paroissiaux entre août et septembre 1783 puis janvier-Février 1784.

Image retirée.
Extrait du Cambridge Chronicle and Journal du 12 juin 1783 évoquant l’observation d’un épais brouillard sec ( thick dry fog ) à l’odeur « infectieuse » répandu sur toute l’Europe.
Image retirée.
Extrait du journal du lieutenant de police Dorival en date des 29 et 30 juin 1783 et qui déclare : « Le soir le soleil à l’horizon paroissoit rouge, comme quand on le regarde à travers un verre enfumé. On m’écrit depuis Paris que nous sommes environnés d’un brouillard si épais que le soleil ne peut le percer ».
Image retirée.
Observatoire de Paris où les académiciens de l’Académie royale des Sciences relevèrent des observations instrumentales météorologiques durant l’éruption du Laki qu’ils publièrent dans les Mémoires de l’Académie.

Référence

Mortality induced by PM2.5 exposure following the 1783 Laki eruption using reconstructed meteorological fields, Y. Balkanski, L. Menut, E. Garnier, R. Wang, N. Evangeliou, S. Jourdain, C. Eschstruth, M. Vrac, P. Yiou, Nature Communications.

Contact chercheur

Emmanuel GARNIER
Laboratoire Chrono-Environnement (CNRS/Université de Franche-Comté)
emmanuel.garnier@univ-fcomte.fr