Les éléments de parure de la grotte de Bizmoune (Essaouira, Maroc) mettent en lumière le plus ancien comportement symbolique humain

Résultats scientifiques

Une équipe internationale a découvert 32 coquilles façonnées dans un niveau datant de 142 000 à 150 000 ans dans la grotte de Bizmoune à Essaouira au centre-ouest du Maroc (Fig.  1). Ces artefacts fabriqués à partir d’un gastéropode marin Tritia gibbosula (anciennement Nassarius gibbosulus) constituent les plus anciens éléments de parure découverts à ce jour et la première preuve matérielle directe d'un système d’échange et/ou de communication des groupes humains. L'étude est publiée dans la revue Science Advances.

Localisation et vue de la grotte de Bizmoune
Fig. 1. Localisation et vue de la grotte de Bizmoune (g) avec log stratigraphique (d). Datations radiométriques *14C, **U/Th sur spéléothèmes, ***U/Th sur les dents d'animaux (erreur +/- 2 σ). Crédit photo : A. Bouzouggar, INSAP, Maroc.

L’utilisation de ces coquillages marins, probablement en pendentif, témoigne d’un comportement symbolique très ancien chez notre espèce, Homo sapiens. Les premières découvertes ont été réalisées dans des sites du Levant datant d'environ 135 000 ans ainsi qu’en Afrique du Sud vers 76 000 ans. D'autres sites d'Afrique du Nord avec des gastéropodes marins ont été datés entre 116 000 et 35 000 ans. Grâce à des datations croisées à hautes résolutions (déséquilibre radioactif uranium-thorium) les découvertes de Bizmoune vieillissent les premiers témoignages de ce comportement symbolique durant une période géologique froide et aride du Pléistocène (Marine Isotope Stage 6).


Comme nos contemporains, les anciens groupes humains utilisaient probablement des perles de coquillages pour décorer leur corps et leurs vêtements (Fig. 2). A Bizmoune, de nombreuses coquilles présentent des traces d'usure et de polis liés à la suspension, et certaines d’entre elles étaient même colorées avec de l'ocre rouge, un pigment naturel d'oxyde de fer retrouvé en résidus microscopiques sur ces coquilles (Fig. 3). Ces éléments de parure sont parfois interprétés comme l’expression de l'identité sociale et culturelle des porteurs. Cette découverte est la première preuve matérielle directe d'un système d’échange et/ou de communication des groupes humains. Son origine est extrêmement ancienne à Bizmoune avec l’utilisation de Tritia gibbosula mais aussi ensuite dans d’autres gisements en Afrique du Nord avec parfois la récolte d’autres coquillages marins.

Éléments de parures
Fig. 2. Éléments de parures (Tritia gibbosula et Columbella rustica) provenant du niveau 4c de Bizmoune. Crédit photo : A. Bouzouggar, INSAP, Maroc.
elements parure
Fig. 3. Photographies de quelques éléments de parure (Tritia gibbosula) de la couche 4c. Polis anthropiques (1A, 1B et 2A). Modification anthropique probable de la surface intérieure (3A et 4A). Résidu d'ocre rouge (5A, 5B et 6A). Barres d'échelle : 1 mm (1 à 6); 500 µm (1A et 1B, 2A, 3A, 4A, 5A et 6A) ; 250 µm (5B). Crédit photo : A. Bouzouggar, INSAP, Maroc.

A Bizmoune, ces coquilles marines semblent à première vue petites et insignifiantes, mais ces minuscules coquillages fournissent des informations cruciales sur l'origine du comportement symbolique tel que le langage. Les éléments de parure de Bizmoune et ceux présents dans d'autres sites d'Afrique du Nord sont associés à la culture atérienne du Middle Stone Age (MSA) connue pour ses célèbres pointes atériennes pédonculées. Par ailleurs, à Bizmoune, les Atériens exploitaient une grande variété d'animaux dont les équidés, gazelles, phacochères, gnous, grandes antilopes ou d’autres grands bovidés et même le rhinocéros. Selon les auteurs de ces travaux, cette association d'animaux fossiles trouvés à Bizmoune témoigne d’un climat très aride avec des voies de passages entre le centre-ouest du Maroc et l'Afrique sub-saharienne et des corridors aujourd’hui disparus. Les occupants du site ont consommé d’autres petits animaux (i.e. lièvre, tortue) et des fragments d’œufs d’autruches sont également présents. Par ailleurs, dans une grande partie de la séquence des fragments de charbons de bois proviennent de taxons tels que l'arganier ou le thuya, encore aujourd'hui présents dans la région. Ces données paléoenvironnementales sont cruciales selon les auteurs. Pour comprendre les origines de ce comportement, il est nécessaire d’examiner de près les facteurs écologiques et démographiques des groupes humains pour lesquels l’affirmation d’une appartenance ou identité propre étaient probablement très importantes.

Ces travaux publiés dans la revue Science Advances ont été menés par des chercheurs  de l'Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP, Rabat, Maroc), du Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (LAMPEA, Aix-en-Provence) et de l'Université d'Arizona (Tucson, USA). Parmi les financements obtenus avec les partenaires du Maroc (INSAP) et des Etats-Unis (Univ. Arizona) le projet a été soutenu par le programme ChroMed au sein de l'Initiative d'Excellence d'Aix-Marseille Université (N°ANR-11-IDEX-0001-02, N°10-LABX-0090) et le programme PASSAGE (International Emerging Action-CNRS). Différentes institutions sont également associées à ce projet avec, au Maroc, l'Université Hassan II Casablanca-Mohammedia, Centre National de l'Energie des Sciences et Techniques Nucléaires (CNESTEN) ; le département d’Anthropologie de l’Université d’Harvard aux Etats-Unis ; l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive de Leipzig et l'Université de Tübingen en Allemagne ; l'Université de Las Palmas en Espagne et l'Université de Sheffield au Royaume-Uni. Ce consortium a fourni des informations à haute résolution concernant les datations, le contexte géologique/micromorphologique et paléoenvironnemental. L’équipe scientifique présente ses vifs remerciements à Mr. André Azoulay, président fondateur de l’Association Essaouira-Mogador pour son intérêt et appui à ses recherches archéologiques dans la région d’Essaouira.

Objectifs de développement durable

pictODD

  • ODD 13 - Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique
  • ODD 14 - Vie aquatique
  • ODD 15 - Vie terrestre

Les analyses paléoenvironnementales dans et autour de la cavité de Bizmoune génèrent de nombreuses données et relevés biogéographiques pour la caractérisation environnementale de la zone. Les informations dérivées de la reconstitution des paléotempératures (sensu lato) en relation avec la faune et la végétation des paléocommunautés constituent un référentiel de grande importance pour comprendre la dynamique des changements climatiques.

Laboratoire CNRS impliqué

Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe-Afrique (LAMPEA - CNRS / Aix-Marseille Université / Ministère de la culture)

Référence

Early Middle Stone Age personal ornaments from Bizmoune Cave, Essaouira, Morocco. El Mehdi Sehasseh, Philippe Fernandez, Steven Kuhn, Mary Stiner, Susan Mentzer, Debra Colarossi, Amy Clark, Francois Lanoe, Matthew Pailes, Dirk Hoffmann, Alexa Benson, Edward Rhodes, Moncef Benmansour, Abdelmoughit Laissaoui, Ismail Ziani, Paloma Vidal-Matutano, Jacob Morales, Youssef Djellal, Benoit Longet, Jean-Jacques Hublin, Mohammed Mouhiddine, Fatima-Zohra Rafi, Kayla Beth Worthey, Ismael Sanchez-Morales, Noufel Ghayati, Abdeljalil Bouzouggar. Science Advances. Septembre 2021

Contact

Philippe Fernandez
Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe-Afrique (LAMPEA - CNRS / Aix-Marseille Université / Ministère de la culture)
Abdeljalil Bouzouggar
Origin and Evolution of Homo sapiens in Morocco research group, Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (Maroc) & Department of Human Evolution, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology (Allemagne)
Steve Kuhn
School of Anthropology, University of Arizona, Tucson, USA
Vincent Ollivier
Communication - Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe-Afrique (LAMPEA - Univ Aix-Marseille/CNRS/MC)