Les espèces eucaryotes non cultivées du plancton révèlent enfin leurs secrets

Résultats scientifiques

À partir de données de séquençage massif d’ADN récolté à la surface des océans et des mers (expéditions Tara Oceans), et après plus de 10 années de labeur, une équipe internationale pilotée par des chercheurs du CNRS et du CEA-Genoscope a résolu un des plus grands puzzles de la biologie environnementale. En effet, l’équipe a réussi à unir près de 300 milliards de petits fragments d’ADN du plancton pour reconstruire des centaines de génomes eucaryotes qui échappaient aux approches classiques de culture. Cette étude, qui a permis de révéler des secrets de nombreuses espèces primordiales pour l’écosystème océanique global et de mettre en lumière le lien complexe entre évolution et capacité fonctionnelle des eucaryotes unicellulaires, est parue le 28 avril 2022 dans la revue Cell Genomics.

Les micro-organismes eucaryotes sont très abondants à la surface des océans. Ils y exercent une influence considérable dans les cycles biogéochimiques et le climat mondial. Ces organismes incluent des lignées bien connues comme certaines algues vertes et diatomées, mais aussi une majorité d’espèces non décrites. En effet, l’énorme diversité du plancton eucaryote est en majeure partie récalcitrante à la culture en laboratoire, limitant notre compréhension des fonctions de ces organismes. Une caractérisation génomique sans culture pourrait nous permettre de mieux comprendre leur évolution et traits fonctionnels, le rôle des espèces clés dans les cycles biogéochimiques, ou encore leur capacité de résilience face au changement climatique. Pour cela, il fallait résoudre l’un des plus grands puzzles de génomique environnementale de notre époque : reconstruire les génomes de grande taille des espèces eucaryotes à partir des millions de fragments d’ADN obtenus par séquençage  du planctoniques. Jusque-là, la communauté scientifique utilisait principalement cette approche sur les microorganismes dont les structures génomiques sont beaucoup plus simples : les bactéries et virus.

Une étude publiée dans Cell Genomics surprend la communauté scientifique en décrivant un premier succès notable dans la caractérisation génomique des eucaryotes à grande échelle sans passer par la culture, révélant dans le même temps une surprise quant à leurs capacités fonctionnelles. Les chercheurs ont utilisé près de 300 milliards de séquences courtes d’ADN, l’équivalent de 10,000 génomes humains, produites au fil des ans au Genoscope à partir d’échantillons de surface de l’océan planétaire collectés lors des expéditions Tara Oceans, et ont réussi à reconstruire des centaines de génomes d’espèces eucaryotes abondantes dans le plancton. Cette ressource inclut notamment le plus gros génome caractérisé à ce jour pour le plancton (plus d’un milliard de nucléotides), couronnant le succès de cette approche environnementale. Elle inclut aussi de nombreuses branches de l’arbre du vivant jusque-là inconnues. Si une luciole éclairait chaque génome connu dans l’arbre du vivant, nous aurions grâce à cette étude un arbre décoré de nombreuses nouvelles branches lumineuses.

Les chercheurs ont analysé la distribution des nouveaux génomes à la surface des océans. Certains ne sont détectés que dans l’océan Austral, d’autres dans l’océan Indien, et ainsi de suite, révélant une sorte d’Atlas à la précision des génomes reconstruits. Ils ont ensuite identifié 10 millions de gènes dans ces génomes, et ont pu définir quatre grand groupes d’eucaryotes basé sur leur profil fonctionnel. Etonnamment, cette approche a révélé des convergences fonctionnelles entre des lignées très éloignées dans l’évolution du vivant. En d’autres termes, il apparaît grâce à la génomique environnementale à grande échelle que des espèces qui ne partagent pas d’ancêtres communs récents, comme les algues vertes et les diatomées, contiennent pourtant de nombreuses fonctions génétiques similaires. L’évolution des eucaryotes unicellulaires marins est aussi complexe que passionnante.

Ces données et résultats forment une avancée pionnière et une base de référence, mais ne représentent qu’une petite partie du plancton qui cache encore bien des secrets. La décennie à venir verra certainement une révolution de notre compréhension des organismes eucaryotes environnementaux, portée par les approches génomiques sans passer par la culture.

de vargas
Illustration de la ressource génomique du plancton eucaryote abondant à la surface des océans (arbre évolutif : Tom Delmont et Morgan Gaia; images de plancton : Noan Le Bescot).

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Global Ocean Systems Ecology and Evolution (FR 2022 GOSEE, Paris Michel-Ange
  • Génomique Métabolique (GM - CNRS / CEA / Univ. d’Evry-Val-d’Essone)
  • Station Biologique de Roscoff (SBR - CNRS / Sorbonne Université)
  • Institut de Biologie de l’ENS, Département de Biologie (Ecole Normale Supérieure / CNRS / INSERM / Universite ́ PSL)
  • Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M – CNRS / Sorbonne Université)

Objectifs de Développement durable

pictODD

  • Objectif 3 : bonne santé et bien-être
  • Objectif 6 : eau propre et assainissement
  • Objectif 13 : lutte contre les changements climatiques
  • Objectif 14 : vie aquatique

Cette étude apporte une connaissance de base de la génomique du plancton eucaryote abondant à la surface des océans, qui est un marqueur de la santé et qualité des eaux marines, un puissant régulateur du climat, et contribue donc au bien-être et à la bonne santé de l'humanité.

Référence

Tom O. Delmont, Morgan Gaia, Damien D. Hinsinger, Paul Fremont, Chiara Vanni, Antonio Fernandez Guerra, A. Murat Eren, Artem Kourlaiev, Leo d'Agata, Quentin Clayssen, Emilie Villar, Karine Labadie, Corinne Cruaud, Julie Poulain, Corinne Da Silva, Marc Wessner, Benjamin Noel, Jean-Marc Aury, Tara Oceans Coordinators, Colomban de Vargas, Chris Bowler, Eric Karsenti, Eric Pelletier, Patrick Wincker and Olivier Jaillon. Functional repertoire convergence of distantly related eukaryotic plankton lineages abundant in the sunlit ocean. Cell Genomics, In Press.

Contact

Tom Delmont
Fédération de Recherche GOSEE – Génomique Métabolique, Genoscope, Institut François Jacob, CEA, CNRS, Université d’Evry, Université Paris-Saclay