Les liaisons dangereuses entre polluants chimiques et microbiote des dépôts urbains

Résultats scientifiques

Les villes favorisent des pratiques propices à la dissémination et au développement de certains micro-organismes. Une étude menée par le CNRS, l’Université Lyon 1, et VetAgro Sup, impliquant des scientifiques du Laboratoire d’Ecologie Microbienne (LEM – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / VetAgro Sup / INRAE) et de l’ Institut des Sciences Analytiques (ISA - CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1),  montre que les dépôts urbains s’accumulant à la surface des routes et trottoirs favorisent l’émergence de microbiotes façonnés par la pollution, dont l’occurrence de bactéries pathogènes opportunistes de l’Homme et de phytopathogènes. Les résultats ont été publiés dans la revue Science of the Total Environment.

 

Les villes favorisent, en raison de leur densité et de la diversité d’humains et de non-humains qui y sont hébergés, des interactions et des mises en contact propices à la dissémination des micro-organismes dont des formes pathogènes. Cette constatation est devenue désormais une évidence pour notre société en raison, entre autre, de l’épidémie de COVID-19. L’équipe de recherche « bactéries pathogènes opportunistes et environnement » (BPOE) de Lyon (Laboratoire d’Ecologie Microbienne (LEM - CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / VetAgro Sup / INRAE) s’investit depuis plusieurs années dans le développement d’une structure pérenne d’observation de la microbiologie de la ville au sein de l’Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine (OTHU) de Lyon, composante de la Zone Atelier Bassin du Rhône (ZABR).

L’eau qui ruisselle en ville permet d’accéder à une image de la complexité des interactions entre polluants chimiques et microbiote urbain. En fonction de l’intensité des pluies, une re-mobilisation des dépôts de surface peut s’opérer (Fig. A). Les analyses de ces eaux et matières en suspension peuvent donc apporter des informations sur les pollutions liées à certaines organisations de la ville mais également sur les assemblages de micro-organismes s’opérant en ville. L’équipe de recherche a donc développé des actions de recherche interdisciplinaires en s’appuyant sur le réseau d’experts de l’OTHU dont des spécialistes des polluants urbains (Institut des Sciences Analytiques (ISA - CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1, Villeurbanne), des sciences sociales (laboratoire Environnement, Villes, et Sociétés (EVS – CNRS / Ecole Nationale des Travaux publics d’Etat / ENS Lyon / INSA Lyon / Univ. Jean Monnet / Univ. Lumière Lyon 2 / Univ. Lyon 3 Jean Moulin, Lyon) et de l’hydrologie urbaine (Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Univ. Claude Bernard Lyon 1 / Ecole Nationale des Travaux publics d’Etat), et Laboratoire Déchets Eaux Environnement Pollutions (DEEP – INSA Lyon, Villeurbanne) pour ainsi mieux comprendre les forçages structurant la diversité des microbiomes urbains et leurs relations avec l’émergence ou l’occurrence de populations bactériennes potentiellement dangereuses pour l’Homme.

Figure A : Exemples de dépôts urbains s’accumulant sur la zone d’activités commerciales et industrielles de la Mi-plaine (Chassieu, France).
Figure A : Exemples de dépôts urbains s’accumulant sur la zone d’activités commerciales et industrielles de la Mi-plaine (Chassieu, France).

Dans cet article, l’équipe de recherche a détourné l’usage d’un bassin de rétention (Fig. B) accumulant des dépôts urbains pour en faire un observatoire de ces dépôts et de leur composition en taxa microbiens. Les bassins de rétention sont des dispositifs techniques de la ville permettant la gestion des eaux pluviales et d’éviter les inondations. Ils favorisent également la décantation des matières en suspension dans les eaux de ruissellement avant un transfert des eaux retenues vers un bassin d’infiltration. Les dépôts provenant de cette zone ont été analysés sur plusieurs années (>6 ans) en termes de composition en polluants chimiques (hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), éléments traces métalliques (ETM), polluants émergents) et microbiologique (Fig. B). 

Un objectif important de ce travail a été d’évaluer l’impact des pollutions urbaines sur le développement ou déclin d’espèces bactériennes représentant un danger sanitaire. Les scientifiques de l’équipe ont construit un nouvel outil permettant de suivre simultanément les espèces de plus de 50 genres bactériens. Cet outil a été inspiré de l’approche méta-codesbarres ADN impliquant un séquençage massif d’amplicons PCR ciblant le gène de l’ARNr 16S. La cible ADN validée dans cette étude a été le gène tpm codant une S-méthyle transférase impliquée dans la détoxication de certains médicaments et oxyanions métalliques. Les variations de séquences des amplicons de ce gène permettent une attribution des allèles jusqu’au niveau de l’espèce dont celles retrouvées dans les genres Pseudomonas et Aeromonas

Figure B : Bassin de rétention de la zone d’activités commerciales et industrielles de la Mi-plaine, et exemples de dépôts et sédiments urbains analysés dans l’étude.
Figure B : Bassin de rétention de la zone d’activités commerciales et industrielles de la Mi-plaine, et exemples de dépôts et sédiments urbains analysés dans l’étude.

De grands jeux de séquences du gène tpm (plusieurs millions de séquences) ont donc été produits à partir d’ADN extraits des dépôts urbains. Des relations significatives ont ainsi pu être observées entre profils génétiques des communautés tpm, et la durée des périodes d'accumulation des sédiments urbains dans le bassin de rétention, et leurs concentrations en HAP, chlorpyrifos (insecticide) et alkylphénols (détergents, textiles). Ces corrélations ont indiqué des taux de séquences tpm indicatrices de la présence d’espèces d’Aeromonas, Pseudomonas et Xanthomonas plus élevés dans les dépôts plus fortement contaminés par des éthoxylates de nonylphénol et du chrysène (HAP). Des baisses très importantes des séquences tpm attribuées aux espèces d’Aeromonas ont ensuite été enregistrées dans les sédiments ayant accumulé du naphtalène et des ETM. Des dégradateurs de polluants urbains dont l’agent pathogène (humain) P. aeruginosa ont montré des occurrences significatives conservés au fil du temps, mais les phytopathogènes de l’espèce P. syringae étaient plus abondants dans les sédiments ayant accumulé du naphtalène. 

Ces travaux ont démontré que les bactéries tpm+ pouvaient être utilisées pour évaluer l'incidence des polluants chimiques sur les microbiomes urbains. De plus, ils ont permis de démontrer l’occurrence significative de P. aeruginosa dans les dépôts urbains dont les signatures tpm ont pu être reliées à des formes retrouvées dans des infections pulmonaires de patients atteints de mucoviscidose mais également d’autres contextes cliniques. Cette bactérie fait partie des agents pathogènes à forte préoccupation sanitaire en raison de sa virulence dont une multi-résistance aux antibiotiques. 

 

Ces travaux ont été réalisés grâce aux soutiens de l’OTHU, l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, la Métropole de Lyon, la MITI CNRS (projet Urbamic), l’ANSES (projet EST 2016/1/120) et l’ANR ANR-17-CE04-0010 (Infiltron). Ils ont été développés dans le cadre de l’école urbaine de Lyon (ANR-17-CONV-0004), de l’EUR H2O’Lyon (ANR 17-EURE-0018) et du Labex IMU (Intelligence des Mondes Urbains).

Les objectifs de développement durable

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  • ODD 11 : Villes et communautés durables

L’urbanisation actuelle est confrontée à une densification en forte augmentation, et une pression de plus en plus forte sur les milieux urbains. Les décisions concernant les aménagements effectués en ville dont les plans d’urbanisme et la présence de certains objets techniques conduisent à des modifications des comportements et des changements en termes de qualité sanitaire des milieux urbains. Ces travaux démontrent que les émissions de polluants chimiques impactent la microbiologie des surfaces urbaines d’une agglomération représentative des pays européens. Ces pollutions peuvent favoriser le développement opportuniste de formes bactériennes indésirables.

Références

Axel, A., Y. Colin, R. Bouchali1, E. Bourgeois, R. Marti, S. Ribun, L. Marjolet, A. C. M. Pozzi, B. Misery, C. Colinon, C. Bernardin-Souibgui, L. Wiest, D. Blaha, W. Galia, B. Cournoyer. 2021. Spatio-temporal variations in chemical pollutants found among urban deposits match changes in thiopurine S-methyltransferase-harboring bacteria tracked by the tpm metabarcoding approach. Science of the Total Environment

 

Contact

Benoit Cournoyer
Laboratoire d’Ecologie Microbienne (LEM - CNRS/Univ Claude Bernard Lyon 1 /INRAE )
Danis Abrouk
Correspondant communication - Laboratoire d’Ecologie Microbienne (LEM – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / INRAE)