Les mamans mandrills poussent leurs bébés vers des enfants qui leur ressemblent

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

“Qui se ressemble, s’assemble”. Chez de nombreuses espèces animales, la ressemblance physique est utilisée par les individus pour reconnaître les membres de leur famille. Cette reconnaissance guide un grand nombre de comportements, comme l’évitement de l’inceste. Les animaux sauvages n’ayant pas accès à des miroirs, un mystère que tente de percer l’écologie comportementale est le mécanisme utilisé par ces animaux pour différencier les congénères qui leur ressemblent de ceux qui ne leur ressemblent pas. Dans un article de eLife, des chercheurs montrent que chez les mandrills, un singe d’Afrique Centrale, les mères poussent leurs bébés à interagir préférentiellement avec d’autres enfants qui leur ressemblent. En agissant ainsi, les mères favorisent le népotisme entre leur progéniture et leurs apparentés.

En biologie évolutive, la sélection de parentèle est un processus favorisant des traits, comme des comportements, qui sont bénéfiques pour des congénères génétiquement proches. Pour exprimer de tels comportements, encore faut-il pouvoir reconnaître ses apparentés. Chez les singes mandrills (Mandrillus sphinx), les enfants sont élevés dans des familles matrilinéaires et n’ont a priori pas connaissance de l’identité de leur père. Pourtant, de précédentes études ont montré des relations sociales privilégiées entre les demi-frères et sœurs paternels, bien qu’ils n’aient pas grandi ensemble, favorisées par une ressemblance faciale accrue entre ces apparentés paternels. La question restait de savoir par quel mécanisme ces individus apparentés via la lignée paternelle mais vivant dans différentes familles matrilinéaires se reconnaissaient-ils.

Des scientifiques ont mené une étude de terrain à long terme d'une population de mandrills vivant dans les forêts du Gabon, et ont fait l’hypothèse que les mères utilisaient la ressemblance entre les visages des bébés du groupe, afin de reconnaître les apparentés paternels de leur propre bébé et favoriser leurs liens sociaux. En associant dès leur plus jeune âge leurs enfants à leurs demi-frères et sœurs paternels, les mères favoriseraient ainsi le développement de comportements népotiques bénéfiques à la survie de leur progéniture. Les chercheurs ont utilisé des méthodes basées sur l’intelligence artificielle et une base de données de plusieurs milliers de photographies afin d’estimer la ressemblance faciale entre 80 bébés vivant dans la seule population au monde de mandrills habitués à l’Homme et faisant l’objet de suivis continus depuis 2012 (Projet Mandrillus).


En analysant des données comportementales de ces enfants et de leur mère pendant plus de 10 ans, les chercheurs ont montré que les mères s’approchent plus fréquemment des bébés du groupe quand ces derniers ressemblent à leur propre bébé, favorisant ainsi l’association entre bébés. Parce que les chercheurs ont contrôlé pour un ensemble de facteurs confondants, cette ressemblance faciale entre bébés indique très probablement leur apparentement paternel. Les mères partageant des gènes maternels avec leurs bébés, quels bénéfices peuvent-elles donc tirer de favoriser l’association entre individus partageant des gènes paternels ? A l'aide d'une modélisation théorique, basée sur des interactions coopératives répétées entre les bébés apparentés via la lignée paternelle, les auteurs décrivent un processus évolutif plausible par lequel les mères obtiennent aussi des avantages en termes de fitness en facilitant l’émergence de népotisme paternel chez leurs bébés. Les auteurs proposent que ce mécanisme, appelé "sélection de parenté de second ordre", peut s'étendre au-delà des interactions mère-enfant et a le potentiel d'expliquer les comportements coopératifs entre non-apparentés chez d'autres espèces sociales, y compris les humains. Ainsi, 60 ans après le développement de la théorie de la sélection de parentèle, de nouvelles implications sont encore découvertes.

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Une mère mandrill et son bébé toilettant un autre bébé de son groupe social. Photo prise au Projet Mandrillus. Crédits : Berta Roura-Torres

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut des Sciences de l'Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS / Univ Montpellier / IRD)
  • Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - Univ Montpellier / CNRS / EPHE / IRD)

Référence

Charpentier MJE*, Poirotte C*, Roura-Torres B, Amblard-Rambert P, WIllaume E, Kappeler PM, Rousset F¥, Renoult JP¥. 2022. Mandrill mothers associate with infants who look like their own offspring using phenotype matching. eLife. Sous presse.

*,¥ Contributions égales

Contact

Marie Charpentier
Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE)
Julien Renoult
Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS, Univ. Montpellier, Univ. Paul Valéry Montpellier 3, EPHE, IRD)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)
Paula Dias
Contact communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier)