Les transitions entre le milieu marin et le milieu terrestre à l'origine de la diversité actuelle des eucaryotes

Résultats scientifiques

Une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l’Université d’Uppsala en Suède et comprenant des équipes de Institut des Sciences Marines de Barcelone en Espagne, de l'Académie des Sciences Chinoise, et  de l'unité CNRS-Sorbonne Université Adaptation et Diversité en Milieu Marin (UMR 7144, Station Biologique de Roscoff,)  a découvert que les eucaryotes (organismes dotés d’un noyau cellulaire) ont, au cours de leur évolution, fait des centaines de transitions entre d'une part le milieu marin et d'autre part les écosystèmes d'eau douce et le sol et vice versa, Les résultats, publiés dans Nature Ecology and Evolution, donnent également un aperçu de ce à quoi ressemblaient les habitats de nos anciens ancêtres microbiens.

Les transitions majeures d'habitat, comme le passage d’une vie marine à une vie terrestre sont des événements évolutifs clés qui peuvent déclencher des explosions de diversité. Cependant, on ne connaît pas la fréquence de ces transitions d’habitat au cours de l'évolution ni où elles se situent sur l'arbre du vivant, qui comprend les animaux, les plantes, les champignons, mais aussi une énorme diversité microbienne qui peut à peine être vue à l’œil nu.

Ces travaux cherchent à comprendre comment la préférence d’habitat (marin ou non marin) a évolué chez les eucaryotes au cours des 2 derniers milliards d’années. En particulier, à découvrir la fréquence et le rôle des transitions chez les eucaryotes microbiens souvent négligés alors qu’ils sont incroyablement diversifiés et contiennent des groupes tels que les ciliés, les algues vertes, les diatomées, les champignons, les amibes, etc...

De nouvelles technologies ont été utilisées pour séquencer de longs fragments à partir de l’ADN de microbes issu d'un petit nombre d'échantillons prélevés dans des lacs boréaux, dans des sols forestiers, dans l’Océan Indien, dans la fosse des Mariannes et dans d'autres environnements. Cette base de données publique contenant plus de 4,000 échantillons a été établie par Daniel Vaulot (directeur de recherche émérite, UMR 7144) en collaboration avec une équipe de Singapour (Nanyang Technological University) et l'équipe d'Uppsala et vient d'être publiée dans la revue Molecular Ecology Resources. Ces longs fragments ont été comparés avec les séquences environnementales courtes stockées dans une nouvelle base de données bâtie à partir de séquences brutes publiées et déposées dans les banques publiques (GenBank).

A l'aide des séquences d'ADN, les chercheurs ont pu reconstruire les arbres phylogénétiques des organismes trouvés dans ces environnements. « Nous avons constaté que les organismes eucaryotes sont généralement regroupés selon qu’ils vivent dans les océans ou dans des habitats non marins comme l’eau douce et les sols », explique Mahwash Jamy, auteur principal de cette étude. « Cette découverte confirme qu’il est difficile de s’adapter à une salinité différente – ou de franchir la barrière saline – même pour les microbes. Cependant, nous avons constaté que les eucaryotes microbiens ont réussi à s’établir avec succès dans de nouveaux habitats plusieurs centaines de fois au cours de leur évolution, et nous sommes susceptibles de découvrir plus de ces événements de transition à mesure que nous séquençons des microbes à partir de nouveaux échantillons. Il est probable que ces transitions difficiles à réaliser aient permis aux organismes colonisateurs d’occuper des niches écologiques vacantes, ce qui a conduit à la grande diversité d’eucaryotes que nous voyons aujourd’hui".

Cependant tous les microbes ne sont pas également aptes à coloniser de nouveaux habitats. « Nous avons été très surpris de trouver de nombreux cas où, par exemple, la séquence d’ADN d’un champignon vivant à 7 000 mètres sous la mer est presque identique à la séquence d’ADN d’un champignon du sol. De tels résultats s’appuient sur des études antérieures et suggèrent que les champignons peuvent s’adapter à des habitats et des salinités complètement différents, suivis par les diatomées et les algues brunes qui n'arrivent que loin derrière. Ces résultats soulèvent encore plus de questions sur ce qui rend les champignons si spéciaux », explique Mahwash Jamy.

Les arbres phylogénétiques construits à partir de séquences d’ADN ont également permis aux chercheurs de scruter le passé et de déduire à quoi auraient pu ressembler les habitats de nos anciens ancêtres microbiens. « Il est probable que deux des plus grands groupes d’eucaryotes, appelés SAR et Obozoa, qui sont chacun beaucoup plus diversifiés que les règnes végétal et animal, soient apparus dans des habitats complètement différents », explique Fabien Burki, auteur principal de cette étude. La lignée SAR, qui comprend des groupes comme les diatomées, les ciliés, les dinoflagellés, les radiolaires, etc., est apparue pour la première fois dans les océans précambriens. D’autre part, l’Obazoa ancestral, qui s’est maintenant diversifié en champignons, animaux, choanoflagellés et amibozoaires, a probablement habité des habitats non marins ». « Notre étude montre que le changement de salinité entre les habitats marins et non marins a joué un rôle important dans l’évolution eucaryote. Il y a beaucoup plus de recherches passionnantes à faire maintenant, et la prochaine étape consistera à se tourner vers la génomique pour découvrir quels mécanismes génétiques sous-tendent ces événements évolutifs critiques. Par exemple, en recherchant les gènes qui ont pu permettre le passage de la barrière saline. 

Illustration
Diatomée Thalassiosira sp. observée dans des échantillons de la mer de Baffin pendant la camp de glace Green Edge en 2016 en microscopie électronique de balayage (SEM). ©Florence Le Gall

 

Laboratoire CNRS impliqué

  • Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M - CNRS / Sorbonne Université)

Objectifs de développement durable

  • ODDObjectif 14 : Vie aquatique

Référence

Contact

Marielle Guichoux
Responsable du service Communication Médiation et Edition Scientifiques - Station Biologique de Roscoff (CNRS / Sorbonne Université)
Daniel Vaulot
Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M - CNRS / Sorbonne Université)