L’évolution des chromosomes sexuels est-elle vraiment liée aux différences entre mâles et femelles ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les chromosomes sexuels sont souvent très différenciés, comme les chromosomes X et Y chez l’être humain, le chromosome Y étant très petit. Un nouveau modèle mathématique montre que l’arrêt de la recombinaison entre chromosomes sexuels, permettant leur différenciation, peut simplement évoluer pour abriter les mutations délétères qui ségrégent naturellement dans les génomes plutôt qu’en raison des différences entre mâles et femelles. Cet article a été publié dans PLoS Biology.

chromosomes
Chromosomes. © fpm - iStock

Les échanges génétiques entre chromosomes hérités des deux parents sont bénéfiques sur le long terme, car ils permettent une plus grande efficacité de la sélection naturelle pour favoriser les mutations avantageuses et éliminer les mutations délétères. Malgré ces avantages, des suppressions locales des échanges génétiques sont souvent observées, en particulier sur les chromosomes sexuels. Le chromosome Y par exemple chez l’être humain a arrêté ses échanges génétiques avec le chromosome X depuis plusieurs millions d’années et, du fait de la réduction de l’efficacité de la sélection que cela a engendré, il a accumulé des mutations délétères et a perdu de nombreux gènes. Il a longtemps été admis que l’arrêt des échanges génétiques entre les chromosomes X et Y, bien qu’apparemment délétère sur le long terme, avait été favorisé par la sélection naturelle car il permettait l’émergence et le maintien de différences entre mâles et femelles. Cependant, cette hypothèse théorique est peu soutenue par les données empiriques. Notamment, les chromosomes de types sexuels de champignons montrent aussi des arrêts répétés de la recombinaison malgré l’absence de fonctions mâle ou femelle.

Des scientifiques ont développé un modèle mathématique montrant que l’arrêt de la recombinaison entre chromosomes sexuels peut évoluer simplement parce que cela permet d’empêcher l’expression de mutations délétères, naturellement présentes dans les génomes en grand nombre. Cette hypothèse repose sur des mécanismes très simples de génétique, ne requiert pas l’existence de différences entre mâles et femelle ou de compensation de dosage d’expression, et constitue donc un mécanisme simple, général et puissant permettant d’expliquer l’évolution des chromosomes sexuels et autres structures génétiques sans recombinaison chez de nombreuse espèces, y compris les champignons. 

mutations chromosomes
De nombreuses mutations délétères récessives ségrégent dans les populations naturelles (en rouge). Si une inversion chromosomique capture moins de mutations délétères que la moyenne de la population sur ce segment, elle a un avantage et va être sélectionnée. Cependant, si elle augmente en fréquence, elle va se retrouver de temps en temps à l’état homozygote, et les mutations délétères récessives seront exprimées, empêchant la fixation de l’inversion dans la population. Mais si l’inversion capture aussi un locus du déterminisme du sexe qui est toujours à l’état hétérozygote, par exemple le gène déterminant le sexe mâle sur un chromosome Y, les mutations délétères portées par l’inversion seront également toujours à l’état hétérozygotes, et donc toujours abritées de la sélection ; l’inversion se fixera alors, supprimant ainsi la recombinaison entre les chromosomes X et Y.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Ecologie Systématique et Evolution (ESE - CNRS / AgroParisTech / Université Paris-Saclay)
  • Evolution, Ecologie et Paléontologie (Evo-Eco-Paléo - CNRS / Université de Lille)
  • Mathématiques appliquées à Paris 5 (MAP5 - CNRS / Université Paris Cité)

Contact

Tatiana Giraud
Chercheuse en biologie évolutive