L’évolution des mammifères a ralenti au cours des 66 derniers millions d’années

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une équipe internationale vient de publier dans la revue Science une étude sur l’évolution de la morphologie crânienne chez les mammifères sur une période qui s’étend de l’époque des dinosaures à nos jours. À partir d’approches phylogénétiques et de scanners 3D sur 322 espèces représentant les principales familles actuelles ainsi que les principaux ordres fossiles, l’étude montre que les taux d’évolution phénotypiques se sont d’abord intensifiés au début de la diversification des mammifères, probablement en lien avec l’extinction concomitante des dinosaures, mais n’ont par la suite cessé de diminuer.

À partir de scans 3D de 322 spécimens conservés dans plus de vingt collections muséales internationales, une nouvelle étude publiée dans Science a permis de mieux décrire les patrons de diversification morphologique chez les mammifères et de comprendre les facteurs écologiques et comportementaux qui y sont associés.

En rassemblant des données sur les crânes de tous les principaux groupes de mammifères placentaires, éteints et actuels, l'équipe de chercheurs dirigée par le professeur Anjali Goswami du Natural History Museum a obtenu un cadre temporel et taxinomique exceptionnel pour retracer la radiation adaptative des mammifères et déchiffrer ce qui a conduit à leur incroyable « succès » à la suite de l'extinction des dinosaures.

Exemple de la diversité des crânes de mammifères utilisés pour cette étude. Credit R.Felice/NHM & UCL
Exemple de la diversité des crânes de mammifères utilisés pour cette étude. Credits : R.Felice/NHM & UCL

Le début de l'ère des mammifères

Bien que les premiers mammifères aient existé aux côtés des dinosaures, leur diversité était relativement limitée, les plus grands mammifères de l'ère mésozoïque atteignant, par exemple, la taille d'un petit chien. Cependant, immédiatement après l'extinction des dinosaures, on assiste à une incroyable explosion de la diversité des mammifères placentaires, les premiers ancêtres des groupes vivants actuels apparaissant dans les archives fossiles quelques 100 000 ans après cet événement. Le registre fossile montre également que les mammifères se sont rapidement diversifiés morphologiquement - vraisemblablement en lien avec la colonisation d’une grande variété de niches écologiques - un processus que les scientifiques nomment communément radiation adaptative.

Cependant, cette nouvelle étude montre qu'après leur diversification initiale rapide, le rythme évolutif des mammifères a considérablement ralenti. Quelques évènements d'évolution rapide apparaissent plus tardivement, mais leur amplitude s’atténue au fil du temps et n'atteint jamais les taux du premier pic. Bien que l'incertitude quant à la chronologie exacte de ces incursions ultérieures rende leur corrélation avec des évènements spécifiques difficile, elles sont probablement liées à des périodes de changement climatique rapide ou soutenu et au refroidissement global au cours de l'ère cénozoïque.

Quelles sont les variables associées aux taux d’évolution rapides chez les mammifères ?

L'un des principaux objectifs de cette étude est de mieux prédire les facteurs (écologiques, environnementaux, comportementaux) associés aux variations de taux évolutifs. Il apparaît que les structures sociales influencent considérablement le rythme d'évolution des mammifères. Par exemple, les mammifères sociaux évoluent beaucoup plus rapidement que les solitaires. De même, les espèces vivant dans des environnements aquatiques, notamment les baleines, mais aussi les lamantins, les phoques et les morses, montrent les taux évolutifs les plus rapides. Les herbivores évoluent également plus rapidement que les carnivores, probablement parce que les consommateurs primaires sont généralement plus sensibles aux variations environnementales.

L’investissement parental semble également être un prédicteur important des taux évolutifs. Les animaux précoces, nécessitant peu d’investissement des parents, tels que les chevaux et les antilopes, évoluent beaucoup plus rapidement que les espèces altriciales (qui nécessitent des soins post-nataux) telles que les primates ou les carnivores. Les périodes d’activité des espèces (diurnes ou nocturnes) semblent également avoir joué un rôle sur les taux d’évolution morphologique. De manière inattendue, les groupes de mammifères les plus riches, les rongeurs et les chauves-souris, ne semblent pas avoir évolué très rapidement, ce qui suggère que la diversité morphologique et la diversité spécifique puisse être en partie découplée chez les mammifères.

À quoi ressemblaient les premiers placentaires?

À l'aide de ce nouvel ensemble de données, l'équipe a également reconstitué ce à quoi les premiers mammifères placentaires auraient pu ressembler. Bien qu'il existe de nombreux mammifères fossiles de la fin du Crétacé (juste avant l'extinction des dinosaures), l'identification des premiers membres du groupe des mammifères placentaires fait l'objet d'un débat majeur dans la communauté scientifique car les caractéristiques des premiers représentants du groupe sont difficiles à établir. Les nouvelles reconstitutions proposées dans cette étude montrent que les premiers membres de tous les grands groupes de placentaires se ressemblaient probablement beaucoup, que ce soit les ancêtres des rongeurs, des éléphants, ou de leurs proches parents. Cela signifie qu'il sera peut-être encore très difficile d'identifier avec certitude les premiers fossiles de mammifères placentaires, mais ces nouvelles reconstitutions permettent néanmoins d’observer des différences plus subtiles (notamment sur la largeur et l’allongement du rostre) qui pourraient être utile d’explorer sur les spécimens fossiles.

Le hall des Mammifères du Muséum CREDIT Trustees of the Natural History Museum
Le hall des Mammifères du Muséum Credits : Trustees of the Natural History Museum
Reconstitution de l’ancêtre des mammifères placentaires Credit: A.Goswami/NHM
Reconstitution de l’ancêtre des mammifères placentaires Credit: A.Goswami/NHM

 

Laboratoire CNRS impliqué

  • Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels Anthropisés (LEHNA - Université Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS / ENTPE)

Référence

Goswami, A., Noirault, E., Coombs, E.J, Clavel, J., Fabre, A.C., Halliday, T.J.D., Churchill, M., Curtis, A., Watanabe, A., Simmons, N.B., Beatty, B.L., Geisler, J.H., Fox, D.L., Felice, R.N. 2022. Attenuated evolution of mammals through the Cenozoic. Science

Contact

Julien Clavel
Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA – CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / Ecole nationale des travaux publics d’Etat)
Anne-Kristel Bittebière
Correspondante communication - Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / Université Claude Bernard / Ecole nationale des travaux publics de l'Etat))