Minute papillon ! La temporalité des changements plastiques

Résultats scientifiques

La plasticité phénotypique est la capacité d’un organisme à modifier ses caractères en fonction de l’environnement dans lequel il se trouve. Par le passé, les études expérimentales se sont surtout appliquées à décrire à quel point les organismes sont plastiques. Un article, récemment publié dans Trends in Ecology & Evolution, rappelle que cette approche met de côté un aspect fondamental de la plasticité : la vitesse à laquelle les caractères changent en réponse à l’environnement. Les scientifiques expliquent en quoi cette connaissance est essentielle pour comprendre si la plasticité est adaptative face aux fluctuations environnementales.

En résumé

  • La plasticité phénotypique est une stratégie répandue permettant aux organismes de s’accommoder de changements rapides et prévisibles dans leur environnement direct.
  • Par le passé, les études expérimentales se sont concentrées sur la mesure de la capacité plastique (à quel point un organisme peut modifier son phénotype en réponse à un changement d’environnement), mais très rarement à la cinétique de mise en place des réponses plastiques.
  • Mesurer la dynamique temporelle de la plasticité est à la fois crucial pour pouvoir évaluer les bénéfices d’une réponse plastique dans un contexte donné et l’occasion de soulever des questions nouvelles dans ce domaine d’étude.

Certains organismes sont capables de modifier leur phénotype en réponse à des changements de l’environnement. Par exemple, la quantité de mélanine produite par les mélanocytes de l’épiderme humain est modulée par les radiations ultraviolettes (UV) incidentes. L’accumulation de pigments à la surface de la peau procure un avantage lorsque l’indice UV est élevé, en protégeant les cellules des rayonnements mutagènes qui endommagent l’ADN. La plasticité du phénotype représente donc un potentiel d’adaptation aux changements d’environnement au cours de la vie d’un individu, à une autre échelle de temps que la sélection naturelle qui agit sur plusieurs générations.

Les scientifiques soulignent que l’expression de la plasticité suite à un changement environnemental n’est jamais instantanée. Dans l’exemple, l’augmentation des rayonnements UV est détectée par les mélanocytes, entraînant une cascade de signalisation, puis une augmentation de la synthèse des pigments qui sont, in fine, sécrétés. Bien que conscients de la temporalité des réponses plastiques, les biologistes se sont surtout appliqués à décrire la capacité plastique, c’est-à-dire à quel point un organisme est capable de changer son phénotype en fonction des conditions. Mais des études indiquent que cette métrique ne prédit que partiellement le succès des organismes lorsqu’ils se trouvent dans des environnements fluctuants.

Une des raisons rappelées dans l’article pour expliquer cette discordance est justement la dynamique temporelle de la réponse plastique. Si l’environnement change très vite, et en particulier plus rapidement que la vitesse à laquelle la plasticité est mise en place, alors les bénéfices supposément apportés par la capacité plastique sont atténués. Dans ce cadre, les auteurs et autrices expliquent pourquoi la dynamique temporelle de la plasticité est charnière afin de comprendre si une réponse plastique est adaptative dans un contexte donné.

Mesurer cette dynamique temporelle requiert d’échantillonner le phénotype itérativement, aussi fréquemment que nécessaire pour capturer les paramètres de la trajectoire plastique. Replacer la temporalité au centre de l’étude de la plasticité ouvre un grand nombre de perspectives à explorer expérimentalement. Les réponses plastiques rapides sont-elles toujours les plus avantageuses en environnement fluctuant ? La vitesse de plasticité est-elle variable entre organismes d’une même espèce ? D’espèces différentes ? Quelles conséquences la vitesse de la plasticité a-t-elle sur la dynamique des populations et l’adaptation par sélection naturelle ? Les réponses à ces interrogations seront, elles aussi, une question de temps.

visuel Dupont
Figure 1 : Daphnia est un genre de Crustacés couramment trouvé dans les eaux douces et très étudié pour sa plasticité développementale. Dans des milieux riches en prédateurs, les individus développent des expansions de leur cuticule (épines, casque) compliquant leur ingestion par les poissons qui les consomment. De gauche à droite ici : une daphnie perçoit la présence de prédateurs (kairomones dissous) et intègre l’information, puis polymérise progressivement une expansion cuticulaire en forme de casque. La gradualité des changements est symbolisée par les couches colorées successives. © Léonard Dupont.

 

Référence

Dupont, L., Thierry, M., Zinger, L., Legrand, D., & Jacob, S. Beyond reaction norms : the temporal dynamics of phenotypic plasticity. Trends in Ecology and Evolution, publié le 15/09/23.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Station d'Écologie Théorique et Expérimentale (SETE - CNRS)
  • Institut de biologie de l'École Normale Supérieure (IBENS - CNRS/ENS-PSL/INSERM)

Objectifs de développement durable

ODD

  • Objectif 13 : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
  • Objectif 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable
  • Objectif 15 : Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres

Contact

Léonard Dupont
Station d’Ecologie Théorique et Expérimentale (SETE - CNRS)
Catherine Clerc
Correspondante communication - Station d'Ecologie Théorique et Expérimentale (SETE - CNRS)