Modélisation de l’impact du climat sur la dispersion des hominines au Pliocène

Résultats scientifiques

A la fin du Pliocène (4-3 Ma), de nombreuses espèces d’hominines étaient présentes en Afrique, au Sahel mais aussi à l’Est et au Sud du continent. Malheureusement, les fossiles et les sites disponibles pour décrire ces espèces disparues et leurs environnements sont rares. L’une des conséquences de cette rareté est que les paléontologues peinent à apprécier l’aire de répartition réelle des hominines pliocènes. Néanmoins, des approches novatrices, comme les simulations paléoclimatiques et la modélisation de niches écologiques, permettent désormais de contourner ce problème et d’estimer l’aire géographique potentiellement occupée par ces espèces fossiles. C’est ce qu’illustre cette étude publiée par une équipe pluridisciplinaire (constituée par les UMR PACEA, PALEVOPRIM, LSCE, CEREGE et IPGP de l’INEE et de l’INSU) le 1 février 2022 dans la revue Global and Planetary Change.

En Afrique, les découvertes de fossiles attribués à différentes espèces hominines et datées du Pliocène (par ex. Australopithecus barhelghazali, Au. afarensis, Kenyanthropus  platyops) forment un ensemble riche et diversifié qui illustre une évolution dite « buissonnante », par opposition au modèle d’évolution linéaire d’espèces se succédant dans le temps jusqu’à Homo sapiens. Ces différentes espèces contemporaines proviennent toutes de seulement trois régions d’Afrique. Cette répartition géographique doit être néanmoins interprétée avec la plus grande précaution car elle est notamment le résultat du faible nombre d’affleurements accessibles et de sites réellement étudiés pour le Pliocène africain. Il est donc très difficile d’estimer l’aire géographique réellement occupée par ces groupes il y a 3 à 4 millions d’années en Afrique en se basant uniquement sur les données paléontologiques.

C’est là qu’entrent en jeu des méthodes novatrices : les simulations paléoclimatiques et les modélisations de niches écologiques. Grâce à celles-ci, il est possible de reconstruire le climat du Pliocène (ex. température et précipitations annuelles, écarts de température et précipitations entre les mois les plus chauds/humides et les plus froids/secs) ainsi que le type et la quantité de végétation favorisée par les climats simulés. On peut en déduire une estimation de l’aire géographique potentiellement habitable (d’un point de vue climatique) par les humains au Pliocène.

Dans cette étude publiée par une équipe pluridisciplinaire (alliant paléontologues, paléoclimatologues, archéologues et géophysiciens) dans Global and Planetary Change, on constate que les habitats compatibles avec la présence d’humains anciens correspondent aux régions semi-arides couvertes d’une végétation basse et adaptée au manque d’eau. Ce résultat est en accord avec les analyses basées sur les végétaux fossiles découverts dans les sites ayant livré des restes humains. Cependant, les habitats obtenus ne sont pas tous connectés entre eux. Alors qu’une large bande longitudinale d’habitat favorable à la présence des humains reliaient l’Afrique d’Est en Ouest en passant par le Sahel, les milieux favorables au Sud et à l’Est de l’Afrique ne formaient pas une zone habitable continue. Une barrière environnementale séparait donc ces deux peuplements humains. Certaines conditions climatiques (plutôt que le climat moyen) permettent de modéliser une disparition épisodique de cette barrière. Dans toutes les simulations, seuls l’Est et le Sud du continent demeurent invariablement compatibles avec la présence humaine : ces régions auraient donc pu servir aux humains de refuges climatiques au cours du Pliocène.

Cette étude confirme l’intérêt des approches simulatrices et modélisatrices pour contourner certaines limitations du registre fossile, et elle indique que des changements climatiques de faibles intensités ont pu avoir des effets majeurs sur l’aire de répartition des humains anciens.

Schéma
Illustration des modèles de niche climatique des espèces humaines (A, C, D) et du modèle de paléovégétation (B) calculés entre 3 et 4 millions d’années à partir des simulations paléoclimatiques.
A gauche (A), les habitats climatiquement compatibles (en orange et en vert) avec les peuplements humains à l’échelle du Pliocène (climat moyen). L’Afrique de l’Est accueillait les habitats les plus favorables et restait connectée aux sites du Sahel central par une large bande longitudinale. Au Sud, les habitats favorables au peuplement humain étaient isolés par des zones climatiquement hostiles.
A droite (B), les grands types de végétations modélisés à partir du climat Pliocène moyen. Les végétations semi-aride sont visibles en rouge, les sites fossilifères en vert.
En bas à droite (C), les habitats climatiques favorables aux humains après changement de l’insolation. Sous cette condition climatique, les habitats à l’Est et au Sud de l’Afrique sont connectés et la bande longitudinale passant par le site du Sahel disparait.
Enfin (D), les refuges climatiques, c’est-à-dire les habitats restant favorables aux peuplements humains sous toutes les conditions climatiques simulées, sont visibles en vert sur la carte en bas à droite.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Laboratoire Paléontologie, Evolution, Paléoécosystèmes, Paléoprimatologie (PALEVOPRIM, CNRS / Université de Poitiers)
  • Laboratoire De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA, CNRS / Université de Bordeaux)

Objectifs de développement durable

  • ODD

    ODD 13 : Mesure relative à la lutte contre les changements climatiques. Cette étude participe à avertir nos pairs, l’opinion public et les décideurs des conséquences du changement climatique sur la biodiversité. Elle utilise les outils de modélisation de niche et de simulation climatiques directement sur les anciens groupes humains pour démontrer l’effet des changements climatiques sur leur répartition géographique.

  • ODD 15 : Vie terrestre. Cette étude illustre le lien direct entre la présence d’écosystèmes (climat, végétation) spécifiques et la présence d’espèces qui leurs sont adaptées. Elle démontre la nécessité de préserver des environnements favorables aux peuplements des animaux humains et non-humains.

Référence

Corentin Giber, Anaïs Vignoles, Camille Contoux, Climate-inferred distribution estimates of mid-to-late Pliocene hominins, Global and Planetary Change, Volume 210, Mars 2022, 103756

Contact

Corentin GIBERT
Laboratoire PALEVOPRIM (Paléontologie, Evolution, Paléoécosystèmes, Paléoprimatologie, UMR 7262)
Jean-Renaud Boisserie
Correspondant Communication