Photographie à la loupe binoculaire de deux clones de Daphnia magna nourries sur une ressource de bonne qualité (à gauche) ou de mauvaise qualité (à droite) Crédit photo : Ruiz Thomas

Nutrition et métabolisme : le coût énergétique de la contrainte nutritionnelle

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

A ce jour, les travaux explorant la structure et le fonctionnement des écosystèmes s’appuient sur deux devises biologiques distinctes : l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'organisme et la matière requise pour produire de la biomasse. Cependant, l'interaction entre ces deux facteurs reste méconnue. Une étude publiée dans Ecology Letters a réussi à quantifier le coût énergétique de la qualité nutritionnelle (contrainte par la matière) permettant ainsi d'intégrer l'écologie nutritionnelle (matière) et métabolique (énergie) dans un cadre commun.

 Photographie à la loupe binoculaire de deux clones de Daphnia magna nourries sur une ressource de bonne qualité (à gauche) ou de mauvaise qualité (à droite). Crédit photo : Ruiz Thomas
 Photographie à la loupe binoculaire de deux clones de Daphnia magna nourries sur une ressource de bonne qualité (à gauche) ou de mauvaise qualité (à droite). Crédit photo : Ruiz Thomas

L’une des problématiques majeures de l’écologie est de prédire la structure et la production des écosystèmes aquatiques dont découle un nombre important de services écosystémiques. Classiquement ces prédictions se basent sur les traits morphologiques des organismes (taille, masse) extrapolés d’après la Théorie Métabolique de l’Ecologie (MTE) pour quantifier les flux d’énergie au sein des réseaux trophiques. Néanmoins, ces approches énergétiques échouent souvent à expliquer la forte variabilité d’efficience de transferts pouvant exister d’un niveau trophique à l’autre, tout particulièrement à l’interface plante-animal1. A ce niveau, les flux d’énergie semblent contraints par les flux de matière2, notamment par les transferts de composés nutritionnels essentiels tels des acides gras3, stérols4 ou nutriments5. Ainsi, dès la fin du XXème siècle, de nombreux travaux d’écologie nutritionnelle ont cherché à définir l’effet de ces composés essentiels sur l’efficience des transferts trophiques, délaissant peu à peu les approches énergétiques initiales6. Aujourd’hui, la scission entre écologie métabolique et écologie nutritionnelle est vue comme un obstacle à la compréhension de la structure et du fonctionnement de l’écosystème et un nombre croissant de travaux appellent à l’intégration de ces deux approches dans un cadre commun7–10.

Pour comprendre les interactions entre flux de matière et d’énergie, une équipe de chercheurs a exploré les conséquences de contraintes nutritionnelles sur le métabolisme énergétique des consommateurs. Grâce à une méthodologie exploitant la microcalorimétrie11, les chercheurs ont suivi l’évolution du taux métabolique au repos du consommateur herbivore zooplanctonique Daphnia magna soumis à divers types de contraintes nutritionnelles (acides gras, stérols, nutriments). Ils ont ainsi pu démontrer que toute contrainte nutritionnelle induisait systématiquement une élévation du taux métabolique au repos des consommateurs, reflétant une augmentation de la dissipation d’énergie associée au maintien de l’organisme. Cet accroissement de la dissipation d’énergie s’est avéré étroitement corrélé à une diminution de la croissance des consommateurs. Ainsi, cette dissipation d’énergie semble refléter le coût énergétique de la qualité nutritionnelle pour l’organisme. A terme, quantifier la qualité nutritionnelle via une devise énergétique permettrait d’intégrer les concepts de l’écologie nutritionnelle dans des approches métaboliques telles que la théorie métabolique de l’écologie (MTE)12 ou la théorie des budgets énergétiques dynamiques (DEB)13. Une telle intégration améliorerait la compréhension de la structure et du fonctionnement de l’écosystème aquatique et faciliterait la prédiction de ses réponses aux changements globaux.

Figure présentant le taux métabolique au repos, i.e. la dissipation énergétique de l’organisme, en fonction de la masse de Daphnia magna soumise à différents traitements nutritionnels.
Figure présentant le taux métabolique au repos, i.e. la dissipation énergétique de l’organisme, en fonction de la masse de Daphnia magna soumise à différents traitements nutritionnels.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Laboratoire microorganismes : génome et environnement (LMGE - CNRS / Université Clermont Auvergne) 
  • Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC - CNRS / Université de Lorraine)

Objectifs de Développement durable

pictODD

  • ODD 13 - Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique
  • ODD 14 - Vie aquatique

Cette étude vise à mieux comprendre la structure de l’écosystème aquatique, notamment à l’interface phytoplancton-zooplancton, afin d’améliorer nos capacités à anticiper les conséquences de stresseurs environnementaux associés aux changements globaux sur la production secondaire. Améliorer ces prédictions pourrait permettre une meilleure gestion de l’écosystème aquatique afin d’atténuer les effets du changement climatique sur ces milieux fournissant de nombreux services écosystémiques.

Références

Publication

RUIZ, Thomas, KOUSSOROPLIS, Apostolosmanuel, DANGER, Michael, AGUER, Jean-Pierre, MOREL-DESROSIERS, Nicole, BEC, Alexandre. Quantifying the energetic cost of food quality constraints on resting metabolism to integrate nutritional and metabolic ecologyEcology Letters, 2021. https://doi.org/10.1111/ele.13855

 

Notes

1.    Brett, M. T. & Goldman, C. R. Consumer Versus Resource Control in Freshwater Pelagic Food Webs. Science 275, 384–386 (1997).

2.    Cebrian, J. et al. Producer Nutritional Quality Controls Ecosystem Trophic Structure. PLoS ONE 4, e4929 (2009).

3.    Müller-Navarra, D. C., Brett, M. T., Liston, A. M. & Goldman, C. R. A highly unsaturated fatty acid predicts carbon transfer between primary producers and consumers. Nature 403, 74–77 (2000).

4.    Martin-Creuzburg, D., von Elert, E. & Hoffmann, K. H. Nutritional constraints at the cyanobacteria- Daphnia magna interface: The role of sterols. Limnol. Oceanogr. 53, 456–468 (2008).

5.    Elser, J. J. et al. Nutritional constraints in terrestrial and freshwater food webs. Nature 408, 578–580 (2000).

6.    Lindeman, R. L. The Trophic-Dynamic Aspect of Ecology. Ecology 23, 399–417 (1942).

7.    Allen, A. P. & Gillooly, J. F. Towards an integration of ecological stoichiometry and the metabolic theory of ecology to better understand nutrient cycling. Ecology Letters 12, 369–384 (2009).

8.    Barnes, A. D. et al. Energy Flux: The Link between Multitrophic Biodiversity and Ecosystem Functioning. Trends in Ecology & Evolution 33, 186–197 (2018).

9.    Hillebrand, H. et al. Herbivore metabolism and stoichiometry each constrain herbivory at different organizational scales across ecosystems. Ecology Letters 12, 516–527 (2009).

10.    Sperfeld, E., Wagner, N. D., Halvorson, H. M., Malishev, M. & Raubenheimer, D. Bridging Ecological Stoichiometry and Nutritional Geometry with homeostasis concepts and integrative models of organism nutrition. Funct Ecol 31, 286–296 (2017).

11.    Ruiz, T. et al. A microcalorimetric approach for investigating stoichiometric constraints on the standard metabolic rate of a small invertebrate. Ecol Lett 21, 1714–1722 (2018).

12.    Brown, J. H., Gillooly, J. F., Allen, A. P., Savage, V. M. & West, G. B. TOWARD A METABOLIC THEORY OF ECOLOGY. Ecology 85, 1771–1789 (2004).

13.    Kooijman, B. Dynamic Energy Budget Theory for Metabolic Organisation. (Cambridge University Press, 2009). doi:10.1017/CBO9780511805400.

Contact

Thomas Ruiz
Laboratoire Microorganisme : Génome et Environnement (LMGE - CNRS / Université Clermont Auvergne)
Geneviève Bricheux
Correspondante communication Laboratoire Microorganismes : Génome et Environnement (LMGE - Univ Clermont Auvergne/CNRS)