Plus les isothermes migrent rapidement vers les sommets, plus les espèces sont à la traîne

Résultats scientifiques

 

  • La migration des isothermes en altitude ne dépend pas uniquement de la rapidité du réchauffement global mais aussi du gradient thermique vertical en montagne.
  • Sur la période 1971-2020, 17 massifs de montagnes dans le monde présentent des vitesses de migration verticale des isothermes qui sont maximales et dépassent les 8 m/an.
  • Plus la vitesse de migration verticale des isothermes est élevée, supérieure à 5 m/an, et plus les chances sont faibles pour les espèces d’ajuster leurs répartitions en altitude, suggérant un retard de migration.
     

Les isothermes, lignes reliant les points de l’espace d’égales températures, remontent en altitude en montagne à mesure que le climat se réchauffe. Cependant la vitesse de cette migration verticale des isothermes dépend aussi du taux de réduction des températures à mesure que l’on grimpe en altitude : le gradient thermique vertical bien connu des randonneurs et alpinistes. Un groupe de recherche vient de publier, dans la revue Nature, la première carte mondiale de vitesse de migration verticale des isothermes sur la période 1971-2020 et de faire le lien avec la grande migration du vivant vers les sommets.

En montagne, les neiges éternelles marquent une limite entre le royaume des glaces de l’étage nival et les étages sous-jacents. C’est la manifestation visible et tangible de l’isotherme du 0°C. Avec le réchauffement global des températures cette limite remonte en altitude à plus ou moins grande vitesse suivant la rapidité à laquelle les températures se réchauffent, mais pas seulement. Un autre facteur influence la vitesse de migration des isothermes en altitude : il s’agit du gradient thermique vertical qui correspond à une baisse des températures à mesure que l’on grimpe en altitude et que chaque bon randonneur ou alpiniste saura apprécier pendant l’ascension d’un sommet. Ce gradient thermique vertical pouvant atteindre jusqu’à 10°C pour 1000 m d’ascension dans le cas théorique d'une particule d'air sèche (ne contenant pas d'eau sous forme liquide) varie dans l’espace suivant l’humidité de l’air. Par conséquent, pour connaître la vitesse de migration des isothermes en altitude, en m/an, il faut non seulement connaître la rapidité du réchauffement, en °C/an, au sein d’un massif mais aussi la valeur du gradient thermique vertical, en °C/m, de cette zone de montagne.

Un groupe de recherche taiwanais impliquant un chercheur français a réalisé la première cartographie des vitesses de migration verticale des isothermes sur l’ensemble des montagnes du globe, en réponse aux changements de températures sur la période 1971-2020. Ses travaux, publiés dans la revue Nature, ont permis d’identifier 17 massifs de montagnes pour lesquels les vitesses de migration des isothermes sont maximales et dépassent les 8 m/an. C’est notamment le cas dans les régions tropicales très humides où le gradient thermique vertical est le moins prononcé, comme dans les montagnes du nord de Sumatra, mais aussi dans les régions froides et sèches à haute latitude, là où le réchauffement climatique est le plus prononcé comme sur le plateau de Poutorana en Russie ou bien dans la Chaîne Centrale de la péninsule du Kamtchatka. En comparant ces vitesses de migration verticale des isothermes en montagne avec les vitesses de changement d’aire de répartition des espèces en altitude, issues de la base de données BioShifts, ce groupe de scientifiques a également montré que plus la vitesse de migration verticale des isothermes est élevée, supérieure à 5 m/an, et plus les chances sont faibles pour les espèces d’ajuster leurs répartitions en altitude, suggérant un retard de migration.

Isothermes
Identification des 17 zones de montagne dans le monde dans lesquels les vitesses de migration verticale des isothermes observées entre 1971 et 2020 peuvent atteindre des seuils critiques par endroit, dépassant les 8 m/an. Extrait de la figure 3 de l’article publié dans Nature©.

Ces travaux permettent de mieux appréhender le degré d’exposition et donc la vulnérabilité des espaces de montagnes vis-à-vis du réchauffement global des températures. Par exemple, les montagnes dans les zones insulaires de l’hémisphère nord sont plus vulnérables au réchauffement climatique du fait de vitesses de migration verticale des isothermes qui y sont plus élevées en moyenne, de l’ordre de 7,46 m/an contre 6,29 m/an sur les continents de l’hémisphère nord. Par conséquent, d’importants retards de migration en altitude sont à prévoir pour les espèces des milieux insulaires, suggérant une latence et une persistance des mouvements de migration d’espèce même si on venait à infléchir la courbe du réchauffement global des températures à l’avenir.

Pyrénées
Cliché pris dans les Pyrénées. Crédit : Jonathan Lenoir.

 

Référence de la publication

Wei-Ping Chan, Jonathan Lenoir, Guan-Shuo Mai, Hung-Chi Kuo, I-Ching Chen & Sheng-Feng Shen. Climate velocities and species tracking in global mountain regions. Publié dans Nature, le 27 mars 2024. 

Laboratoire CNRS impliqué

  • Ecologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSANCNRS/Univ. de Picardie Jules Verne

Contact

Jonathan Lenoir
Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN - CNRS/Univ. Picardie Jules Verne)