Préserver le garde-manger des requins leur offre une meilleure protection

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Soumis à une pression anthropique croissante, le requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhynchos) a vu ses effectifs diminuer drastiquement dans de nombreuses zones de l’océan Pacifique. Un atoll préservé de Polynésie française qui abrite encore plusieurs centaines de ces squales semble toutefois faire exception. Afin de comprendre l’origine de ce rassemblement de requins unique au monde ainsi que les raisons de sa persistance dans le temps, des chercheurs du Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l'Environnement (CRIOBE, EPHE/CNRS/UPVD), en collaboration avec la société Andromède Océanologie, étudient leurs mœurs depuis quelques années. Dans un article publié récemment dans Current Biology, l’équipe démontre qu’une agrégation ponctuelle de mérous dans le récif assure le maintien de cette importante population de requins gris en leur fournissant une abondante source de nourriture durant une partie de l'année. Ces travaux suggèrent qu’une conservation des agrégations de pontes de poissons, menée parallèlement à celles des requins de récifs, permettrait une protection plus efficace de ces derniers.

Selon une étude scientifique publiée en 2012, les effectifs de requins gris de l’océan Pacifique auraient chuté de 90 % en quelques années à peine en raison d’une pression de pêche trop importante. En Polynésie française, la population de requins gris de l’atoll de Fakarava semble pourtant échapper à cette hécatombe. Depuis plusieurs années des biologistes du CNRS et de l’Université de Perpignan, rejoints depuis par l’équipe du biologiste-photographe Laurent Ballesta, étudient la structure et le fonctionnement de cet écosystème récifal où les espèces animales agissent de manière naturelle car elles ne sont pas dérangées par la présence humaine. « Le travail de terrain que nous avons initié en 2011 visait à étudier la plus importante agrégation de mérous de Polynésie française, ces poissons affluant en masse de début juin à fin juillet par la passe sud du récif pour venir pondre dans ce site très préservé », rappelle Johann Mourier, actuellement postdoctorant à l’Université Macquarie de Sydney (Australie) et principal auteur de l’étude.

Lors de plongées destinées à étudier de plus près cette agrégation temporaire de mérous, les chercheurs observent une très forte concentration de requins gris qui chassent activement ces mérous durant la nuit. Grâce à un comptage vidéo, ils dénombrent plus de 700 de ces squales, faisant de ce rassemblement le plus important encore jamais observé chez cette espèce. En parallèle, les chercheurs parviennent à estimer le nombre de mérous présent dans la passe sud du récif tout au long de leur période de reproduction. Durant ces deux mois, le site regroupe en moyenne 17 000 mérous soit une biomasse totale de 30 tonnes à même d’assurer 1/3 des besoins énergétiques annuelles de la population de requins gris. En équipant plus d’une douzaine d’entre eux d’émetteurs acoustiques, les scientifiques veulent alors vérifier si la présence des requins dans la passe coïncide avec la phase d’agrégation des mérous. Associées à des comptages visuels réguliers, l’analyse de ces données montre que la population de requins atteint effectivement son apogée à ce moment de l'année En dehors de cette période, la population de requins diminue de manière significative. . Par ailleurs, les squales passent beaucoup moins de temps dans la passe, ce qui suggère qu’ils effectuent de plus amples déplacements en dehors de la passe pour combler le manque de nourriture.

A l’appui de ces résultats inédits, les chercheurs estiment qu’interdire la pêche aux requins ne constitue pas une mesure suffisante pour garantir la conservation des populations de squales si de telles mesures ne sont pas associées à une meilleure protection des agrégations de ponte de leurs proies. « Lorsque l’homme surexploite ces zones de ponte, il détruit par la même occasion un site de nourrissage essentiel pour les requins qui n'ont alors d’autre choix que de quitter le récif pour trouver de la nourriture loin de ces agrégations, explique Johann Mourier. Or cette stratégie de dispersion qui oblige ces prédateurs à dépenser bien plus d’énergie pour capturer leur proie peut avoir des impacts négatifs à la fois sur la dynamique des populations de requins et leur cycle de vie.» Le chercheur veut désormais mener des investigations similaires sur d’autres écosystèmes récifaux de Polynésie française moins bien préservés. Il espère ainsi déterminer à partir de quel niveau d’exploitation par l’homme des agrégations de mérous, les requins ont tendance à délaisser ces garde-manger faciles d’accès pour chercher leur pitance loin de leur récif.

Image retirée.

Image retirée.

Image retirée.
Requin et mérous © Atoll de Fakarava

Pour aller plus loin

Référence
Extreme Inverted Trophic Pyramid of Reef Sharks Supported by Spawning Grouperspar par Johann Mourier, Jeffrey Maynard, Valeriano Parravicini, Laurent Ballesta, Eric Clua, Michael L. Domeier et Serge Planes, publié dans Current Biology le 8 août 2016.
DOI: 10.1016/j.cub.2016.05.058

Contact chercheur

Johann Mourier
Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE – CNRS / EPHE / UPVD)
johann.mourier@gmail.com

Contact communication

Jeanine Almany
Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE – CNRS / EPHE / UPVD)
jeanine.almany@univ-perp.fr