Puiser dans les sciences non-anglophones pour la conservation de la biodiversité mondiale

Résultats scientifiques

L'anglais est considéré comme la langue internationale des sciences. Mais une nouvelle collaboration internationale vient de démontrer qu’une étude scientifique sur quatre, démontrant l’efficacité d’actions de conservation de la biodiversité, est en fait publiée dans d’autres langues. L’étude, issue de la collaboration d’une soixantaine de chercheurs à travers le monde et publiée dans PLOS Biology, montre que d’importantes connaissances scientifiques restent ainsi inexploitées lorsque les stratégies de conservation ignorent la science non-anglophone. 

carte etude
L’emplacement de 1 203 études non anglophones testant l'efficacité d’interventions de conservation, par rapport aux études anglophones. Amano et al. (2021) Tapping into non-English-language science for the conservation of global biodiversity. PLOS Biology. doi: 10.1371/journal.pbio.3001296

La majorité des études scientifiques sont publiées en anglais et il est commun d’oublier que la science vit aussi dans d’autres langues. C’est ce que vient de démontrer une étude issue d’une collaboration internationale d’une soixantaine de chercheurs. 

Pour quantifier le nombre d’études non-anglophones démontrant l’efficacité d’actions de conservation de la biodiversité, les chercheurs ont passé au crible 419 679 articles évalués par des pairs et publiés dans 16 langues autres que l’anglais entre 1888 et 2020, dans un large éventail de domaines tels que la biodiversité, l'écologie, la biologie de la conservation, la sylviculture et les sciences agricoles. 1 234 de ces articles ont été identifiés comme apportant des preuves de l’efficacité d’actions de conservation et viendront s’ajouter à la base de données Conservation Evidence, qui documente la recherche mondiale sur l'efficacité des actions de conservation et contenait jusqu’à présent 4 412 articles en anglais.

Cette situation n’est ni nouvelle ni restreinte à la conservation de la biodiversité. L'histoire montre que de nombreuses découvertes scientifiques importantes ont été publiées à l'origine dans une langue autre que l'anglais. La structure d'un médicament antipaludéen couronné par le prix Nobel en 1977 a été publiée pour la première fois en chinois simplifié, tout comme bon nombre des premiers articles sur le COVID-19.      

Les preuves scientifiques démontrant l’efficacité d’actions de conservation de la biodiversité sont essentielles pour lutter contre la crise de la biodiversité sur Terre. La plupart des scientifiques parlent l'anglais comme première ou deuxième langue et de nombreux systèmes académiques sont orientés vers la publication dans des revues internationales en langue anglaise. Mais des preuves importantes pour la conservation de la biodiversité sont régulièrement générées par des scientifiques de terrain qui ne maîtrisent pas aussi bien l'anglais ou ne sont pas dans des systèmes nécessitant l’emploi de cette langue. Ils préfèrent souvent publier leurs travaux dans leur première langue, qui, pour beaucoup, n'est pas l'anglais. Ainsi, presque un quart des documents scientifiques sur la conservation de la biodiversité sont publiés dans des langues autres que l'anglais. 

Cependant, ces connaissances sont rarement utilisées au niveau international. Par exemple, 96 % des références citées dans les rapports de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sont rédigées en anglais.

De plus, les régions cibles ou études de ces recherches ne sont pas les mêmes. Ainsi, la plupart des preuves scientifiques en langue anglaise sur ce qui fonctionne en matière de conservation concernent l'Europe et l'Amérique du Nord, alors que dans certaines régions à forte biodiversité, où la conservation est la plus urgente et nécessaire, comme l'Amérique latine, les preuves font cruellement défaut. En revanche, les recherches non-anglophones sont particulièrement courantes dans les régions où les études en anglais sont rares, comme l'Amérique latine, la Russie et l'Asie de l'Est (voir figure ci-dessous). 

De nombreuses études non-anglophones concernent également des espèces pour lesquelles les études en anglais sont rares ou inexistantes. L'incorporation de ces études permet d'étendre la couverture géographique des connaissances scientifiques liées à la conservation de 12 à 25 % et d’inclure 5 à 32 % d'espèces supplémentaires. 

Mieux prendre en compte la science non-anglophone est un moyen rapide et rentable de combler les lacunes de la science anglophone. Il faut ainsi redoubler d'efforts pour synthétiser les études non-anglophones, pour transcender les barrières linguistiques dans le domaine scientifique et maximiser les contributions scientifiques à la conservation; d’autant plus que  le taux de publication en allemand, chinois simplifié, français, japonais, portugais et russe, d'études démontrant l’efficacité d’actions de conservation continue d’augmenter au fil des ans. Pour avoir les meilleures chances d'enrayer la crise actuelle de la biodiversité, il est nécessaire de s’appuyer sur les compétences, l'expérience et les connaissances des personnes du monde entier.

Laboratoire CNRS impliqué

Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / Université de Montpellier / Université Paul Valery Montpellier 3 / EPHE / IRD)

Objectifs de développement durable

pictODD

  • ODD 14 – Vie aquatique
  • ODD 15 - Vie terrestre

Cette étude met en lumière les contributions scientifiques non anglophones pour conserver les vies terrestres et aquatiques.

Référence

Amano T, et al.. Tapping into non-English-language science for the conservation of global biodiversity. PLoS Biol. 2021 Oct 7;19(10):e3001296. doi: 10.1371/journal.pbio.3001296. PMID: 34618803; PMCID: PMC8496809.

Contact

Marie-Morgane Rouyer
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / Université de Montpellier / Université Paul Valery Montpellier 3 / EPHE / IRD)
Paula Dias
Contact communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier)