Quand les bactéries coopèrent avec un virus pour tuer les huîtres

Résultats scientifiques

Les maladies polymicrobiennes, qui impliquent des infections par de multiples agents pathogènes, sont difficiles à contrôler. Des scientifiques ont analysé les interactions au sein du consortium polymicrobien qui tue les jeunes huîtres lors du syndrome de mortalité des huîtres du Pacifique (POMS) causé par le virus OsHV-1 et divers genres bactériens. Ils ont identifié des bactéries coopératives et des tricheuses. Les bactéries qui coopèrent altèrent l’immunité cellulaire des huîtres et accélèrent la progression de la maladie. Elles partagent aussi des métabolites qui permettent aux tricheuses de coloniser les huîtres. Cibler ces mécanismes de coopération ou contrer leurs effets sont des pistes à explorer pour le contrôle de la maladie.

En résumé

  • Une maladie causée par un virus et des bactéries cause des pertes massives dans les populations d’huîtres à l’échelle mondiale.
  • La complexité du consortium microbien et la méconnaissance des interactions au sein de ce consortium entrave le contrôle de la maladie.
  • L’analyse fine des interactions au sein du consortium microbien montre le rôle clé du virus et de certaines bactéries cytotoxiques qui ensemble accélèrent la progression de la maladie.

Un certain nombre de maladies polymicrobiennes affectent les espèces humaines et animales. Il s’agit de maladies résultant d'infections par des agents pathogènes multiples, ce qui complique le contrôle des épidémies et les traitements. Au sein de ces consortiums microbiens, les microbes interagissent et accélèrent la progression de la maladie. Des telles synergies polymicrobiennes sont parfois observées entre les virus et les bactéries. Chez l’Homme, c’est notamment le cas pour le virus de la grippe A ou le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Les consortiums polymicrobiens présentent des capacités de coopération au niveau cellulaire qui incluent la production de biens communs (par exemple, des métabolites partagés), la division du travail, le transport des ressources, ainsi que la création et la maintenance de l'environnement extracellulaire. Toutefois ces maladies complexes sont rarement étudiées dans des pathosystèmes naturels.

Récemment, les chercheurs du laboratoire IHPE et leurs collaborateurs ont montré que le syndrome de mortalité des huîtres du Pacifique (POMS), qui dévaste les élevages de jeunes huîtres de l’espèce Crassostrea gigas à l’échelle mondiale, est causé par l'Ostreid Herpesvirus 1 (OsHV-1) et des bactéries pathogènes, notamment de la famille des Vibrionaceae. Le POMS constitue ainsi un excellent pathosystème naturel pour caractériser les interactions à l’œuvre dans les assemblages polymicrobiens et identifier celles qui jouent un rôle clé dans la progression de la maladie.

Dans une étude publiée dans PNAS, les chercheurs et chercheuses ont constaté que deux espèces de Vibrio, appelées Vibrio harveyi et Vibrio rotiferianus étaient prédominantes dans les tissus des huîtres de l’étang de Thau infectées par OsHV-1. Les auteurs ont utilisé des infections contrôlées en laboratoire pour explorer les interactions entre ces deux espèces de bactéries et le virus chez C. gigas. Les résultats indiquent que V. harveyi et OsHV-1 favorisent leur croissance réciproque, ce qui accélère la mortalité des huîtres. Les auteurs ont également caractérisé les mécanismes sous-jacents. Ils ont notamment montré que V. harveyi favorisait la colonisation des microbes en altérant les défenses cellulaires de l'huître grâce un à système de sécrétion de type III, un comportement précédemment observé mais médié par d’autres effecteurs chez les espèces de Vibrio qui infectent les huîtres lors du POMS en Atlantique. En revanche, V. rotiferianus bénéficie de manière opportuniste des métabolites produits par V. harveyi sans qu’il ne participe lui-même activement à la maladie, ce qui constitue un exemple de comportement de tricherie. Le contrôle des comportements coopératifs apparait ainsi comme une piste de recherche à explorer pour atténuer la synergie polymicrobienne entre le virus et les bactéries qui conduit à la mort des huîtres.

Huîtres Crassostrea gigas dans l’étang de Thau. Crédit : Delphine Destoumieux-Garzón.
Huîtres Crassostrea gigas dans l’étang de Thau. Crédit : Delphine Destoumieux-Garzón.

 

Référence

Oyanedel, D., Lagorce, A., Bruto, M., Haffner, P., Morot, A., Labreuche, Y., Dorant, Y., De La Forest Divonne, S., Delavat, F., Inguimbert, N., Montagnani, C., Morga, B., Toulza, È., Chaparro, C., Escoubas, J., Gueguen, Y., Vidal-Dupiol, J., De Lorgeril, J., Petton, B., Destoumieux-Garzón, D. Cooperation and cheating orchestrate vibrio assemblages and polymicrobial synergy in oysters infected with OSHV-1 virus. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, publié le 26/09/2023

Laboratoires CNRS impliqués

  • Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements (IHPE - CNRS/IFREMER/Univ. Perpignan via Domitia)
  • Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement (CRIOBE - CNRS/EPHE-PSL/Univ. Perpignan via Domitia)
  • Laboratoire des sciences de l'environnement marin (LEMAR - CNRS/IFREMER/IRD/Univ Bretagne occidentale)
  • Biodiversité Marine, Exploitation et Conservation (MARBEC - CNRS/IFREMER/IRD/Univ. Montpellier)
  • Unité en Sciences Biologiques et Biotechnologies (US2B - CNRS/Nantes Univ.)

Objectifs de développement durable

ODD

  • Objectif 12 : Établir des modes de consommation et de production durables

Contact

Delphine Destoumieux-Garzon
Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements (IHPE - CNRS/IFREMER/Univ. Perpignan via Domitia)
Anne Modat
Correspondante communication - Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements (IHPE - CNRS/IFREMER/Univ. Perpignan via Domitia)
Marie-Agnès Travers
IFREMER