Tethysbaena ledoyeri première espèce nouvelle de Thermosbaenacea décrite en France. Elle mesure 2 à 3 mm de long. © P. Chevaldonné/CNRS

Sous les calanques, la vie !

Résultats scientifiques

La biodiversité vit aujourd’hui une crise aiguë dans tous les milieux de la planète, et une accélération des extinctions d’espèces est redoutée alors même qu’elles sont encore largement méconnues. Parmi les milieux où cette diversité n’a été que très peu décrite, figurent certains environnements extrêmes et difficiles d’accès comme les grands fonds marins, les grottes sous-marines et les milieux souterrains. Une collaboration entre un chercheur de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE - CNRS/Aix-Marseille Université/IRD/Avignon Université) et un spécialiste des Pays-Bas, a permis de révéler une nouvelle espèce de crustacé souterrain : Tethysbaena ledoyeri, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue Crustaceana.

Dans le Parc national des Calanques, près de Marseille, se jette un fleuve côtier important et mystérieux connu depuis l’Antiquité, la rivière souterraine de Port-Miou. Sa résurgence se produit entièrement sous l’eau, dans la Méditerranée. Les chercheurs de l’IMBE (Station Marine d’Endoume), spécialisés dans l’écologie des grottes sous-marines, avec l’aide logistique de l’OSU Institut Pythéas et de plongeurs spéléologues, ont exploré en plongée une partie de ce milieu particulier, entre grotte, fleuve, et estuaire souterrain. Une partie seulement, car ce système est un des plus grand au monde. Il remonte depuis la mer à une profondeur de 10-40 m sous le niveau de la mer jusqu’à plus de 2 km du littoral et s’enfonce soudain dans un vaste puits jusqu’à 233 m, limite extrême des explorations spéléologiques à ce jour. Les explorations biologiques se sont concentrées sur une zone accessible par un puits souterrain, à un peu plus de 500 m en amont du débouché marin. A cet endroit, l’influence marine devient quasi-nulle, mais l’eau est saumâtre et extrêmement pauvre en nutriments, la température est assez stable autour de 16°C et l’obscurité est totale.

Un puit permet d’accéder directement à l’aquifère, 530 m en amont de sa résurgence marine. C’est un accès privilégié pour les plongeurs. Ici pendant le tournage de France Terre Sauvage : Les Eaux Vives, à paraître sur France 3.
Un puit permet d’accéder directement à l’aquifère, 530 m en amont de sa résurgence marine. C’est un accès privilégié pour les plongeurs. Ici pendant le tournage de France Terre Sauvage : Les Eaux Vives, à paraître sur France 3.
© J. Izquierdo 

Dans cet environnement extrême, sous la terre et sous l’eau, si loin des sources de nourriture, l’environnement est minéral et il semble de prime abord n’exister aucune trace de vie. Pourtant, les chercheurs-plongeurs de l’IMBE (CNRS/Aix-Marseille Université/IRD/Avignon Université) ont fini par observer, puis capturer de tout petits (2-3 mm) animaux dépigmentés, aveugles, et qui n’avaient jusqu’ici jamais été décrits. L’un d’eux est une espèce nouvelle pour la Science, Tethysbaena ledoyeri, qui appartient à l’ordre des Thermosbaenacea. Elle vient de faire l’objet d’une description taxonomique dans la revue Crustaceana, en collaboration avec le spécialiste mondial de ce petit groupe méconnu, aux Pays-Bas.

Tethysbaena ledoyeri première espèce nouvelle de Thermosbaenacea décrite en France. Elle mesure 2 à 3 mm de long.
Tethysbaena ledoyeri première espèce nouvelle de Thermosbaenacea décrite en France. Elle mesure 2 à 3 mm de long.
© P. Chevaldonné/CNRS

C’est la première fois qu’une espèce de cet ordre de crustacés souterrains, qui ne compte que 37 espèces dans le monde, est décrite en France. Les crustacés de ce groupe, dont le corps rappelle vaguement une crevette, ne sont trouvés que dans les eaux souterraines et interstitielles, souvent à salinité variable, parfois dans les nappes phréatiques. La description morphologique a été complétée par une analyse de séquences ADN qui permettront aux prochaines découvertes d’être comparées à cette nouvelle espèce. La biologie de cette nouvelle espèce est encore bien mystérieuse mais on sait que son abondance sur le lieu de capture est maximale au début de l’automne avant les premières grandes crues. Elle se nourrit probablement des quelques bactéries présentes dans le sédiment très pauvre apporté par la rivière et elle cohabite avec un autre petit crustacé qui semble être son prédateur, un amphipode d’une espèce nouvelle qui reste encore à décrire.

 

Les objectifs de développement durable

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  • ODD 6 : Eau propre et assainissement
  • ODD 14 : Vie aquatique
  • ODD 15 : Vie terrestre

 

L’aquifère de Port-Miou est une interface entre le monde terrestre, l’eau et le monde marin. Ces organismes si éloignés de nous en apparence sont sous la menace de la moindre pollution intervenant sur l’immense bassin versant de ce véritable fleuve souterrain.

Références

Wagner HP, Chevaldonné P. Tethysbaena ledoyeri n. sp., a new thermosbaenacean species (Thermosbaenacea) from the Port-Miou karstic aquifer in southern France. Crustaceana 2020 Sept. 4 ; 93(7):819-841. DOI:https://doi.org/10.1163/15685403-bja10068

Article et vidéo du Parc National des Calanques

Contact

Pierre Chevaldonné
Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE-AVIGNON UNIV/IRD/AIX-MARSEILLE UNIV/CNRS))
Vanina Beauchamps-Assali
Chargée de communication - Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale (IMBE-CNRS/Aix-Marseille Université/IRD/Avignon Université)