Un mécanisme de protection du bois chez les arbres il y a 360 millions d’années

Résultats scientifiques

Les plantes peuvent protéger leur bois contre la propagation de bulles d'air (embolie) et contre les pathogènes en formant des structures spécialisées appelées "thylles". Une équipe internationale vient de mettre en évidence la présence de ces structures dans un bois fossile daté de la fin du Dévonien, il y a 360 millions d'années. Cette découverte publiée dans la revue Nature Plants permet de mieux comprendre l’histoire évolutive de ce mécanisme de défense et la biologie des premiers arbres ligneux.

Les plantes vasculaires représentent plus des deux tiers de la biomasse mondiale et comptent plus de 380 000 espèces différentes. De la laitue aux séquoias géants, toutes possèdent un réseau de cellules spécialisées qui conduisent et distribuent l’eau dans la plante (trachéides et/ou vaisseaux). L’apparition de ce système vasculaire il y a plus de 400 millions d’années a été un évènement clé de l’évolution des plantes. Cependant c’est aussi un point de vulnérabilité car il peut permettre la progression rapide dans la plante de pathogènes (comme les champignons) ou de bulles d'air qui bloquent la circulation de l’eau (embolie).

Un des mécanismes de protection du système vasculaire est la formation de thylles dans le bois. Le bois est un tissu qui contient à la fois des cellules conductrices et des cellules de parenchyme, qui remplissent plusieurs fonctions. Dans certaines conditions, les cellules de parenchyme peuvent former des excroissances à l'intérieur des cellules conductrices voisines. Ces excroissances, appelées thylles, peuvent boucher complètement certaines cellules conductrices et protéger ainsi le reste du bois contre la propagation de pathogènes ou de bulles d’air. Quand ce mécanisme est-il apparu ? Si des thylles ont déjà été décrites dans des bois fossiles, l’histoire évolutive de ce mécanisme reste encore mal connue. En particulier on ne connaissait pas d’exemple dans des plantes du Dévonien, la période où apparaît le bois mais aussi les premiers arbres et les premières forêts.

En étudiant des fossiles récoltés récemment dans le sud-est de l’Irlande, une équipe de chercheurs de l’UMR botAnique et Modélisation de l'Architecture des Plantes et des végétations (AMAP - CNRS / CIRAD / INRAe / IRD / Université de Montpellier), du Trinity College Dublin (Irlande), de l’Université de Liège (Belgique) et du Bayerische Staatssammlung für Paläontologie und Geologie (Allemagne) a pu mettre en évidence la présence de thylles dans un bois fossile daté de la fin du Dévonien, il y a environ 360 millions d'années (figure). Outre le fait qu'il s'agit du plus ancien exemple connu à ce jour de formation de thylles, cette découverte est également intéressante en raison du groupe de plantes dans lequelle elles ont été observées. Elle appartient en effet aux archaeoptéridales, un groupe éteint qui a été parmi les premiers à former des arbres et qui dominait la végétation mondiale à la fin du Dévonien. Si ces arbres se reproduisaient par spores (comme les fougères par exemple), leur appareil végétatif était assez comparable à celui des arbres actuels, avec la présence de systèmes racinaires complexes, de vraies feuilles et d'un tronc avec une grande quantité de bois. Le fait qu'ils produisaient des thylles est un autre aspect "moderne" de leur biologie, permettant la protection de leur bois contre les pathogènes et les risques d’embolie.

Cette découverte parue dans la revue Nature Plants illustre comment les fossiles peuvent préserver des "instantanés" de processus physiologiques, y compris dans des plantes vieilles de plusieurs centaines de millions d’années. Elle nous permet de mieux comprendre l’histoire évolutive du système vasculaire des plantes et la biologie des premiers arbres ligneux.

Ce travail a bénéficié de financements par un projet collaboratif Tellus-Interrvie de l’INSU et un projet PHC Ulysses de l’Irish Research Council & des ministères français de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR).

Observation au microscope d’une section longitudinale de bois fossile
Observation au microscope d’une section longitudinale de bois fossile du Dévonien contenant des thylles et détail d’une zone montrant plusieurs thylles (flèches) produites par des cellules de parenchyme (P) à l’intérieur d’une cellule conductrice (C) ; échelle : 0.05 mm (50 µm). © A-L Decombeix.

 

Laboratoires CNRS impliqués

Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / CIRAD / INRAe / IRD / Université de Montpellier)

Référence de la publication

Decombeix A-L, Harper CJ, Prestianni C, Durieux T, Ramel M, Krings M. Fossil evidence of tylosis formation in Late Devonian plants. Nature Plants. 2023 Apr 20.doi : 10.1038/s41477-023-01394-0

 

Contact

Anne-Laure Decombeix
Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / CIRAD / INRAe / IRD / Université de Montpellier)
Yannick Brohard
Correspondant communication : botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / CIRAD / INRAe / IRD / Université de Montpellier)