Les paysages alpins d’aujourd’hui reflètent les hivers très enneigés d’autrefois
Si on sait déjà qu’avant les années 80, les périodes d’enneigement en milieu montagnard étaient plus longues, on en connait moins les conséquences écologiques. Une étude publiée dans la revue Communications Earth & Environnement vient de montrer que les traces laissées par ces hivers jadis très enneigés sont encore bien visibles dans les paysages actuels des Alpes.
En résumé
- Le réchauffement climatique a entraîné la disparition de nombreux névés tardifs dont l'accumulation de neige limitait auparavant le développement des sols et des plantes.
- À la place des anciens névés, seule une maigre végétation a réussi à se développer progressivement, nécessitant plus de 40-50 ans pour constituer une vraie prairie d'alpage.
- La répartition des plantes et des sols sur ces espaces reflète davantage l’héritage des conditions d’enneigement passées que les effets des conditions actuelles.
En montagne, la diminution de la durée d’enneigement saisonnier due au réchauffement climatique entraîne un allongement de la saison de croissance des plantes. Dans les conditions les plus extrêmes, un seuil peut être franchi si la saison sans neige dépasse les deux mois, une durée considérée comme minimale pour la formation des sols et l’installation durable des plantes. Toutefois, les scientifiques ignorent à quels endroits et à quelles périodes ces conditions favorables au développement de la végétation se sont mises en place, et quelles ont pu être les conséquences de ces basculements sur la distribution du vivant et les paysages actuels.
À partir de données recueillies sur le site Lautaret-Roche noire, situé dans les Alpes, une équipe de chercheurs des laboratoires d’Écologie Alpine (LECA), d’Environnement, Dynamique et Territoires des Montagnes (EDYTEM), du Centre d’études spatiales de la biosphère (CESBIO) et de l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE), montre que l’accélération du réchauffement climatique à partir des années 80 a provoqué, dans de nombreuses zones situées au-dessus de 2300 m d’altitude, le dépassement du seuil de deux mois sans neige. Les reconstructions microclimatiques indiquent que, durant les deux siècles précédant cette accélération, les conditions étaient défavorables au développement de la vie à cette altitude. Bien que ces endroits y soient depuis devenus favorables, ils restent marqués par les longues périodes d’enneigement, le développement des sols et d’une végétation d’alpage nécessitant bien plus que 40 ou 50 ans. Ainsi, cette dernière reste clairsemée et seules des espèces pionnières sont présentes. Les caractéristiques observées aujourd’hui d’un écosystème en émergence résultent davantage des conditions d’enneigement passées que des effets des conditions actuelles.
Par ailleurs, les chercheurs ont estimé que dans les Alpes, les surfaces ayant franchi le seuil critique de deux mois sans neige sont équivalentes à celles occupées par les glaciers. En revanche, à la différence de ces derniers, ces surfaces sont plus également réparties et se retrouvent dans chaque haute vallée alpine, y compris là où aucun glacier n’existe aujourd’hui ou n’a existé par le passé.
Pour mieux saisir les conséquences et enjeux de ces changements, deux pistes d’étude sont envisagées. D’une part, il s’agit de déterminer dans quelle mesure ces écosystèmes en émergence jouent un rôle de refuge pour la biodiversité de haute montagne, dans un contexte marqué par la multiplication des épisodes de canicule et de sécheresses estivales. D’autre part, une étude similaire à l’échelle de l’ensemble des montagnes d’Europe et du bassin méditerranéen permettrait de comparer l’importance des effets d’héritage dans des situations climatiques et écologiques très différentes. Ces travaux s’inscrivent dans une volonté de rapprocher les sciences du climat, des sols et de la biodiversité, l’enneigement saisonnier et la vie en montagne s’avérant étroitement liés.
Photo bandeau haut de page : Vue panoramique du site Lautaret-Galibier prise le 1er juillet 2023, avec le massif des Ecrins à l'arrière-plan. Les accumulations de neige au premier plan disparaissent pendant le mois de juillet. Elles sont toutes entourées d'auréoles ayant la couleur des éléments minéraux sous-jacents faute d'une végétation dense. Il a longtemps été considéré que cette zonation locale était liée aux différences actuelles des durées d'enneigement, alors qu'elle est avant tout un héritage des enneigements passés © Lucie Liger / Jardin du Lautaret
Laboratoires CNRS impliqués
- Centre d’études spatiales de la biosphère (CESBIO – CNRS / CNES / IRD / Univ. Toulouse)
- Environnement, Dynamique et Territoires de la Montagne (EDYTEM – CNRS / Univ. Savoie Mont Blanc)
- Laboratoire d’Écologie Alpine (LECA – CNRS / Univ. Grenoble Alpes / Univ. Savoie Mont Blanc)
- Jardin du Lautaret (Lautaret – CNRS / Univ. Grenoble Alpes)
- Institut des géosciences de l’environnement (IGE – OSUG / CNRS / INRAE / IRD / Univ. Grenoble Alpes)
Référence de la publication
Choler, P., Bonfanti, N., Reverdy, A., Bayle, A., Nicoud, B., Liger, L., Clément, J.-C., Cohard, J. M., Corona, C., Gascoin, S., Voisin, D., Poulenard, J. (2025). Legacy of snow cover on alpine landscapes. Communications Earth Environment. Publié le 23 septembre 2025